Algérie-Maroc, le ton monte d’un cran

Le ton monte encore d’un cran entre les frères ennemis nord-africains qui ont historiquement toujours entretenu une relation houleuse. Sur fond de dispute autour du Sahara occidental, les relations entre Alger et Rabat se sont récemment encore détériorées.

“L’ambassadeur marocain à l’ONU, Omar Hilale, semble avoir franchi le Rubicon aux yeux de l’Algérie en déclarant être en faveur de l’autodétermination du “vaillant peuple kabyle”, minorité algérienne parlant le tamazight, langue berbère parlée dans le centre du Maroc”

Une récente réunion du Mouvement des pays non alignés qui a eu lieu les 13 et 14 juillet derniers en visioconférence depuis New York a fait grand bruit. L’ambassadeur marocain à l’ONU, Omar Hilale, dans une note adressée aux membres de la conférence, semble avoir franchi le Rubicon aux yeux de l’Algérie en déclarant être en faveur de l’autodétermination du “vaillant peuple kabyle”, minorité algérienne parlant le tamazight [langue berbère parlée dans le centre du Maroc, ndlr]. Faisant référence à la prise de parole de Ramtane Lamamra, nouveau chef de la diplomatie, lors de cette même conférence, il a également déclaré que l’Algérie ne devrait pas nier ce droit au peuple kabyle tout en soutenant l’autodétermination des Sahraouis et des Palestiniens.

La Kabylie, terre d’Algérie

Les commentaires de Hilale ont immédiatement suscité l’ire des médias algériens et de la classe politique algérienne, toutes tendances confondues, qui défendent à l’unisson l’unité territoriale du pays et fustigent le roi marocain de vouloir annexer de force le Sahara occidental. Même le Front des Forces Socialistes (FFS), plus ancien parti d’opposition d’Algérie, rappelle que l’unité de l’Algérie “est une ligne rouge que personne ne peut franchir sous aucun prétexte”, que “la Kabylie fait partie intégrante de la terre d’Algérie” et déclare qu’il s’agit là d’“une tentative désespérée de frapper l’unité de l’Algérie et semer la discorde parmi le peuple algérien uni et fier”.

“Même le Front des Forces Socialistes (FFS), plus ancien parti d’opposition d’Algérie, rappelle que l’unité de l’Algérie “est une ligne rouge que personne ne peut franchir sous aucun prétexte”

En l’absence d’écho positif et approprié de Rabat suite à ces agissements, le ministère algérien des Affaires étrangères a déclaré avoir rappelé son ambassadeur installé à Rabat “pour consultation avec effet immédiat” en attendant de prendre “d’autres mesures éventuelles en fonction de l’évolution de cette affaire” et notamment de la position du Maroc sur cette dérive “particulièrement dangereuse”. Le gouvernement algérien prend cette affaire particulièrement au sérieux puisqu’il s’oppose fermement à toute velléité indépendantiste provenant de la Kabylie, région berbérophone du nord-est de l’Algérie. Le gouvernement a d’ailleurs classé le 18 mai 2021 le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), pro-indépendance kabyle, comme une “organisation terroriste”, après réunion du Haut Conseil de Sécurité (HCS).

La longue histoire du Sahara occidental

Depuis des décennies, l’Algérie et le Maroc se font face dans le conflit du Sahara occidental opposant d’une part les indépendantistes du Front Polisario, qui ont proclamé la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en 1976 – soutenue par l’Algérie depuis le départ de l’ancienne puissance coloniale espagnole en 1975 – et le Maroc, qui administre et occupe aujourd’hui cette ancienne colonie, la considérant comme partie intégrante du royaume chérifien. Les tensions entre les deux voisins se sont cristallisées suite à la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël sous l’administration Trump fin 2020, en contrepartie de la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara occidental, et ce en rupture totale avec une politique vieille de six décennies. Le ministre des Affaires étrangères israélien, Yaïr Lapid, doit d’ailleurs se rendre très prochainement au Maroc pour inaugurer la nouvelle mission diplomatique israélienne.

“Les tensions entre les deux voisins se sont cristallisées suite à la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël sous l’administration Trump fin 2020, en contrepartie de la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara occidental”

En réaction, l’Algérie dénonce des manœuvres étrangères visant à la déstabiliser en évoquant une “une réelle volonté d’attenter à l’Algérie à travers l’arrivée à présent de l’entité sioniste à [ses] portes”. D’après Rabat, qui contrôle 80 % des ressources naturelles (pêche, phosphate) de cette vaste zone, le Sahara occidental est un “territoire autonome” selon l’ONU, en l’absence d’un règlement définitif du conflit. Or, pour l’instant, toute tentative a échoué malgré le plan d’autonomie proposé par Rabat et la réclamation d’un référendum par le Front Polisario. Preuve de l’importante tension autour de ce sujet : les deux voisins ont fermé leurs frontières en 1994 pour des raisons de sécurité. Toutefois, en novembre 2020, suite à la réouverture du passage frontalier de Guerguerat avec la Mauritanie, occupé par des troupes sahraouies, des heurts ont éclaté entre le royaume chérifien et le Front Polisario, menaçant le cessez-le-feu mis en place en 1991.

Pegasus en Algérie

Selon l’enquête du consortium Forbidden Stories et Amnesty International, environ 6 000 numéros de téléphone algériens – dont certains appartenant à des hauts responsables politiques et militaires et de renseignement, dont l’actuel ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, ainsi que l’actuel et l’ancien chef d’état-major de l’armée – ont été recensés comme cibles du logiciel Pegasus, commercialisé par l’entreprise israélienne NSO en 2019. Ces révélations ont suscité une indignation générale en Algérie, notamment sur les réseaux sociaux. Le Parquet algérien a ouvert une enquête pour “faire la lumière sur la matérialité et l’ampleur de ces crimes qui menacent la paix et la sécurité internationales, ainsi que la sécurité humaine” selon le communiqué officiel d’Alger.

“Le gouvernement algérien a exprimé sa “profonde préoccupation” sur ce sujet, considérant ces agissements comme “une violation flagrante des principes et normes régissant les relations internationales”

Le gouvernement algérien a exprimé sa “profonde préoccupation” sur ce sujet, considérant ces agissements comme une “inadmissible atteinte systématique aux droits de l’Homme et libertés fondamentales qui constitue également une violation flagrante des principes et normes régissant les relations internationales”. Côté marocain, Rabat nie en bloc et déclare avoir entrepris de poursuivre en diffamation le consortium à l’origine de l’enquête devant le tribunal correctionnel de Paris.

Un enjeu sahélien ?

Le Maroc, qui semble avoir choisi le parti de l’animosité à l’égard de son meilleur ennemi algérien, pourrait avoir un autre agenda en tête que l’annexion du Sahara occidental. Plus précisément, outre les joutes diplomatico-médiatiques, les tensions actuelles pourraient trouver leur vraie source ailleurs que dans le dossier sahraoui utilisé comme une diversion. En effet, en vue de la fin de l’opération Barkhane au Sahel d’ici 2023, rappelée lors du sommet virtuel du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie et Tchad) le 9 juillet dernier, Rabat pourrait commencer à bouger ses pions sur l’échiquier pour prendre la main dans cette région stratégique d’Afrique suite au retrait progressif des troupes françaises.

Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 27/07/2021.