Blocus du Haut-Karabakh : l’Azerbaïdjan use désormais de la terreur

Officiellement, ceux-ci exigeaient des forces de maintien de la paix russes qu’elles permettent l’accès des inspecteurs de l’environnement aux mines du Karabakh afin de vérifier l’état des ressources minières, soupçonnées d’être illégalement dérobées par l’Arménie. Face au refus des Russes, les Azéris ont alors entrepris de bloquer la route.

Officiellement, promesse a été faite de laisser circuler les Arméniens librement. En de très rares occasions, notamment pour laisser passer des convois de la Croix Rouge internationale, ou de l’armée russe, cette promesse a été tenue, aussi l’Azerbaïdjan affirme t-il que le corridor de Lachine demeure ouvert.

En réalité, les habitants du Haut-Karabakh se trouvent depuis plus de dix jours pris au piège d’un véritable blocus qui refuse de dire son nom.

La circulation est ainsi autorisée, mais sous conditions azéries : les Arméniens du Haut-Karabakh doivent organiser leur déplacement en concertation avec les manifestants, et surtout se soumettre aux fouilles et inspections de leur véhicule afin de vérifier l’absence de trafic d’armes ou de biens. Ces conditions, équivalentes à celles d’un régime douanier, et pour ainsi dire préalables à l’installation de check-points, sont jugées inacceptables par les habitants et les Arméniens, qui estiment avec raison qu’elles ouvrent la porte à tous les abus. De fait, de peur de représailles ou de pressions de la part des Azéris, de plus en plus d’habitants restés sur place n’osent plus emprunter le corridor, tandis que d’autres restés « prisonniers » côté arménien, n’ont pour l’heure aucune possibilité de rejoindre l’enclave.

Mais après dix jours de crise, les ressources énergétiques, les denrées alimentaires et les pénuries de médicaments se font déjà sentir au sein de l’enclave qui importe en grande partie ses biens de première nécessité de l’Arménie voisine, au point d’avoir nécessité la mise en place de rationnements par les autorités locales. La prise en charge médicale connaît de loin l’impact le plus inquiétant, les transferts de malades nécessitant des soins de qualité en Arménie devant être différés. Les échanges ou livraisons par hélicoptère ne peuvent être envisagés, de crainte que les appareils ne soient abattus à vue par les forces militaires azéries.

Face à la multiplication des condamnations à l’échelle internationale et de la défiance des Arméniens du Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan récuse l’accusation de blocus et affirme par ailleurs que la fermeture du corridor vise avant tout à faire pression sur les forces russes, et non sur les habitants. Il est néanmoins évident que cette crise et ce blocus répondent à des objectifs politiques. Motivés soi-disant par des considérations « environnementales », les manifestants ont rapidement laissé entendre des slogans nationalistes. Nombreux sont les Azéris à avoir été observés faisant le signe de ralliement des Loups-Gris, cette milice d’extrême-droite turque et panturquiste. De nombreux experts azéris estimaient d’ailleurs nécessaire d’installer un check-point sur cette route afin de limiter les échanges dits « illégaux ».

L’usage d’un climat de terreur, fait de coupures intermittentes d’électricité et de gaz alors que l’hiver et le froid s’installent dans le Caucase, de pénuries alimentaires et médicales, et d’impossibilité de circuler librement, est donc désormais devenu un outil de pression pour l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, la Russie et les autorités locales du Haut-Karabakh. En effet, Bakou s’impatiente face au différend qui les oppose sur l’avancée du corridor du Zanguezour et la fermeture à terme du corridor de Lachine, qui doit pourtant demeurer ouvert pour assurer la circulation entre l’Arménie et le Haut-Karabakh, en vertu de l’accord de cessez-le-feu de novembre 2020.  En créant une situation de crise, l’objectif insidieux de l’Azerbaïdjan est de discréditer les autorités locales de l’enclave tout comme la force de maintien de la paix russes, présentées auprès de la population comme inaptes à assurer la sécurité de la région.

Les Azéris le reconnaissent eux-mêmes, cela fait trente ans qu’ils « manifestent » leur désaccord sur le statut du Haut-Karabakh, et ce de diverses manières. Face à l’échec de la voie diplomatique, depuis 2020, c’est l’usage de la force militaire qui prédomine. Le blocus que subit le Haut-Karabakh depuis dix jours n’est que la continuité de la politique de terreur déployée par l’Azerbaïdjan, une étape de plus pour assurer sa mainmise sur l’enclave et l’exclusion des Arméniens de la région.

Pour l’heure, aucune piste de sortie de crise ne semble en vue. Si la force de maintien de la paix parvient occasionnellement à circuler via le corridor, elle ne semble apporter aucune aide substantielle aux habitants. La menace de la catastrophe humanitaire est donc réelle et nécessite, pour la communauté internationale, de réagir à la hauteur de l’enjeu face à la faillite russe et aux abus croissants de l’Azerbaïdjan, qui suscite et profite du climat de crise pour faire avancer son agenda politique. Cela passe par une assistance immédiate à la population du Haut-Karabakh, mais aussi par une reprise urgente des négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, avec l’aide d’une médiation internationale digne de ce nom.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 25/12/2022.