Entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, une dangereuse escalade

Le 27 janvier dernier, peu après 8h du matin, l’ambassade d’Azerbaïdjan à Téhéran a été la cible d’une attaque à main armée qui a fait un mort et deux blessés. Les motivations du tireur restent floues, et c’est précisément cette incertitude qui a ravivé les tensions déjà importantes entre l’Iran et l’Azerbaïdjan. Téhéran dément en effet toute responsabilité dans cette attaque et la considère comme le fruit d’un différend familial. L’argument est cependant jugé ridicule par les autorités azéries, qui désignent l’évènement comme une attaque terroriste que le régime iranien n’aurait pas anticipée, en dépit de multiples alertes. Les médias azéris les plus ouvertement anti-iraniens, qui excitaient déjà les tensions depuis plusieurs mois en prédisant l’imminence d’une attaque contre l’Azerbaïdjan, vont même jusqu’à en attribuer la paternité aux forces spéciales iraniennes.

Cette attaque s’inscrit surtout dans une longue série d’accusations mutuelles entre les deux pays, après l’arrestation, l’automne dernier, de dix-neuf hommes par les services de sécurité azéris, soupçonnés d’avoir été envoyés par l’Iran pour organiser des attentats en Azerbaïdjan, et l’attaque contre un sanctuaire chiite à Chiraz le 26 octobre dernier, dont l’Iran a rejeté la responsabilité sur l’Azerbaïdjan. Depuis deux ans, le jeu diplomatique entre les deux pays est particulièrement difficile et tendu, tant les sujets de discorde se sont multipliés et cristallisés autour de la situation de l’Arménie.

La « guerre des 40 jours » entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie à l’automne 2020 a été le premier évènement générateur d’une fracture entre Bakou et Téhéran, en raison du soutien traditionnel et ancien de l’Iran à l’Arménie et aux populations du Haut-Karabakh, khanats qui faisaient jadis partie de la Perse. Depuis lors, la reconquête totale de l’enclave entreprise par l’Azerbaïdjan, au mépris de l’accord de cessez-le-feu de novembre 2020, a accéléré les tensions entre les deux pays. L’attaque des 13 et 14 septembre 2022 au coeur du territoire arménien, la volonté de Bakou d’imposer par la force le tracé du corridor du Zanguezour à l’Arménie et à l’Iran, enfin le blocus du Haut-Karabakh, toujours en cours depuis décembre dernier, n’ont naturellement pas contribué à apaiser leurs relations.

Les deux pays s’accusent fondamentalement de mener une politique menaçant leur intégrité territoriale. Pour l’Azerbaïdjan, l’attaque de son ambassade serait ainsi clairement liée à la politique anti-azérie développée par l’Iran. Or, cette rhétorique, comme les manœuvres militaires de Bakou dans le Caucase, s’inscrivent selon Téhéran dans une stratégie globale anti-iranienne de l’Azerbaïdjan, que les Gardiens de la Révolution considèrent comme une menace sérieuse pour la souveraineté de l’Iran et ses voies de communication vers le Caucase et l’Asie centrale. Plusieurs faits semblent attester cette analyse.

Militant actif de l’idéal pantouraniste développé par la Turquie, l’Azerbaïdjan entretient discrètement l’irrédentisme des Azéris d’Iran, la première minorité ethnique du pays qui peuple majoritairement le nord-ouest autour de Tabriz, avec un activisme variable selon les aléas géopolitiques et l’évolution de ses relations avec Téhéran. L’implication grandissante de l’Iran aux côtés de l’Arménie a suscité depuis l’automne dernier une campagne anti-iranienne d’une rare violence dans les médias pro-gouvernementaux d’Azerbaïdjan, qui appellent régulièrement les 30 millions d’Azéris iraniens à faire sécession pour créer un « Grand Azerbaïdjan ». La seule idée d’une rupture territoriale et démographique fait trembler Téhéran, en particulier dans le contexte de troubles sociaux que connaît l’Iran depuis plus de trois mois.

L’autre principal sujet de discorde et d’inquiétude pour l’Iran reste la question du tracé du corridor du Zanguezour. Envisagée par l’Azerbaïdjan le long de la frontière commune entre l’Iran et l’Arménie, cette liaison terrestre permettrait de le relier à l’enclave du Nakhitchevan mais couperait les échanges commerciaux – et potentiellement militaires – entre l’Arménie et l’Iran, objectif qui n’est pas pour déplaire à Bakou. Outre la défense de sa connexion à l’Arménie et au reste du Caucase, l’Iran refuse de voir cette route offrir une voie d’entrée à la Turquie vers l’Asie centrale, et permettre ainsi un encerclement panturquiste délétère pour sa sécurité et sa souveraineté nationale.

Mais outre les attaques multipliées envers l’Arménie, la proximité croissante entre l’Azerbaïdjan et Israël est également un sujet de préoccupation majeur pour Téhéran, car elle permettrait une présence israélienne à la frontière nord-ouest de l’Iran et une facilité d’accès à Tsahal pour infiltrer le pays. Récemment, une attaque de drone contre un entrepôt de munitions à Ispahan a très vite été considérée comme une opération israélienne de sabotage par les autorités iraniennes. L’attaque de l’ambassade azérie est donc intervenue dans ce contexte, et la rapidité avec laquelle Israël a manifesté son soutien à Bakou, et annoncé l’organisation d’une rencontre imminente avec le conseiller diplomatique d’Ilham Aliev, semble confirmer le lien de cause à effet entre les deux évènements.

En novembre dernier, les exercices militaires de grande ampleur baptisés « Mighty Iran » organisés le long de la rivière Araxe, la frontière naturelle entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, avaient pour but de rappeler à l’Azerbaïdjan le coût éventuel des provocations et d’un engagement militaire contre son puissant voisin.L’évènement malheureux du 27 janvier est donc un nouvel épisode des manœuvres d’intimidation et de rhétorique toujours plus violentes qui se jouent entre les deux pays. Aucun, en effet, ne souhaite porter la responsabilité de l’escalade diplomatique qui pourrait déboucher sur une guerre, risque bien réel mais que ni l’Azerbaïdjan, ni l’Iran ne souhaitent pour des raisons évidentes de préservation de leur stabilité, dans un contexte régional déjà troublé. Pour sa part, Ilham Aliyev s’est malgré tout gardé d’accuser publiquement l’Iran. Mais par son ambivalence, le pouvoir azéri joue dangereusement les pompiers-pyromanes, et pourrait à terme ne plus parvenir à juguler l’incendie.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 05/02/2023.