Iran et Occident, la désescalade

Près d’un an après la fin des dernières négociations officielles entre l’Iran et les autres signataires du Joint Comprehensive Plan of Action [JCPoA, ou accords de Vienne, ndlr], la plupart des analystes se disent pessimistes quant à la possibilité de ressusciter l’accord nucléaire. Néanmoins, le dialogue officieux entretenu entre Téhéran et Washington depuis plusieurs mois a permis à chacun d’afficher une réelle ambition en faveur d’une désescalade des tensions. L’Iran a ainsi pu capitaliser sur son accord concernant la libération de prisonniers binationaux et sur le ralentissement de son enrichissement d’uranium, en obtenant le dégel de ses actifs bloqués en Corée du Sud, ainsi qu’un accord informel avec les États-Unis sur l’exportation de ses hydrocarbures, qui lui a déjà permis de retrouver son niveau de production d’avant 2018. Aujourd’hui, tout semble indiquer que ces négociations officieuses pourraient paver la voie à un nouvel accord officiel qui, cette fois, traitera tous les sujets géostratégiques “problématiques” qui avaient été écartés en 2015 et constituaient la principale faiblesse du JCPoA.

Accélération des transferts d’actifs et de prisonniers

Cette hypothèse paraît vraisemblable, compte tenu de la surprenante accélération du transfert des actifs iraniens, d’ores et déjà effectué avant l’échange des prisonniers entre les États-Unis et l’Iran. En effet, l’essentiel des 6 milliards de dollars de fonds a déjà été centralisé par la Swiss National Bank et deux banques du Qatar, avant d’être mis à la disposition de Téhéran pour le commerce humanitaire et les importations médicales. Il resterait donc à peine 2 milliards de dollars à débloquer, ce qui devrait être rapidement accompli. L’objectif serait en effet de faire concorder l’échange des prisonniers avec la venue à New York du président Raïssi pour le débat général de la 78e session de l’Assemblée générale de l’ONU.

“L’objectif serait en effet de faire concorder l’échange des prisonniers avec la venue à New York du président Raïssi pour le débat général de la 78e session de l’Assemblée générale de l’ONU”

L’organisation d’un tel symbole diplomatique semble confirmer une possible reprise des relations bilatérales entre l’Occident et l’Iran. Au-delà de la libération de ces prisonniers binationaux, l’Iran semble enclin à satisfaire les exigences américaines en ralentissant considérablement sa production d’uranium enrichi à 60 %, mais aussi en collaborant plus volontiers avec l’AIEA [Agence internationale à l’énergie atomique, ndlr] et en modérant les actions de ses proxies contre les forces américaines au Moyen-Orient. De leur côté, les États-Unis ont autorisé le dégel d’actifs retenus dans des pays tiers du fait des sanctions américaines – dont l’Irak – afin de régler la dette iranienne. Par ailleurs, Washington entend faire pression sur l’AIEA pour que le prochain rapport du Conseil des gouverneurs soit en faveur de Téhéran, compte tenu de ses efforts sur le dossier nucléaire. Selon le ministère des Affaires étrangères iranien, Washington considère que la restitution des dividendes iraniens doit coïncider avec la relance de l’accord de Vienne. En outre, à mots couverts, les diplomates européens ont confirmé que les Occidentaux ne tenteraient finalement pas d’étendre l’embargo onusien sur les importations par l’Iran de technologies liées aux missiles balistiques, qui doit expirer en octobre prochain comme le stipule le traité de Vienne. De même, les Européens ne devraient pas avoir recours au mécanisme de “snapback”, visant à ré-imposer certaines sanctions onusiennes contre l’Iran.

Un futur sommet entre pays signataires du JCPoA ?

Tout ceci semble donc converger vers l’organisation d’un prochain sommet à New York entre l’Iran et les pays signataires du Joint Comprehensive Plan of Action, chose impensable au cours de l’année écoulée, signifiant a priori qu’un accord plus formel est l’objectif final pour graver toutes ces avancées dans le marbre. Un tel progrès serait salutaire pour valider une véritable désescalade des tensions et prévenir l’émergence d’un conflit d’envergure au Moyen-Orient.

“Un tel progrès serait salutaire pour prévenir l’émergence d’un conflit d’envergure au Moyen-Orient”

Joe Biden a en effet longtemps privilégié la stratégie du “no deal, no crisis”, une gestion de crise transactionnelle avec l’Iran qui s’accommodait de la résistance du Congrès américain, mais s’est avérée totalement court-termiste. Cette stratégie d’évitement et de temporisation a en effet donné la preuve de son inefficacité et constitue même une perte pour les intérêts américains. Libéré de toute entrave, l’Iran est devenu en quelques années un État du seuil et a considérablement augmenté son stock d’uranium enrichi. Tourné vers l’Asie, il y a confirmé son influence régionale en rejoignant les grandes organisations internationales sous égide chinoise, et s’est imposé comme le principal partenaire logistique de la Russie dans la guerre en Ukraine. Pour autant, l’absence d’accord sur le nucléaire a aussi engendré de lourdes pertes pour Téhéran, les sanctions américaines ayant infligé des dommages estimés à 1 000 milliards de dollars à l’économie iranienne, tandis que le nombre d’Iraniens vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté d’au moins 30 %.

Vers des relations bilatérales apaisées

Ce constat démontre que l’absence d’accord formel, comme tout accord “informel”, ne permettra pas de résoudre durablement la crise entre l’Iran et l’Occident. Certes, des obstacles demeurent. Nombreux sont les acteurs régionaux et internationaux opposés à une résurrection du Joint Comprehensive Plan of Action, qui pourraient attiser de nouveau les tensions entre les deux pays. Par ailleurs, on ne peut ignorer qu’une victoire des républicains à l’élection présidentielle américaine de 2024 remettrait en cause tous les efforts de désescalade. La stratégie américaine doit donc impérativement évoluer vers l’obtention d’un authentique accord politique contraignant et le rétablissement de relations de confiance avec l’Iran, préalable indispensable à un dialogue honnête qui permettra de mettre fin à plus de quatre décennies d’hostilité entre Washington et Téhéran, et de restaurer des relations bilatérales basées sur des intérêts communs, le respect mutuel et la non-ingérence. L’opportunité et la volonté semblent désormais réunies pour favoriser le retour de l’Iran dans le concert des nations et assurer la stabilité du Moyen-Orient.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 13/09/2023.