La victoire de Netanyahu, une menace pour l’identité d’Israël

On le croyait fini, sa carrière politique broyée par une triple mise en examen pour corruption, fraude et abus de pouvoir. Mais Benjamin Netanyahu a pourtant réussi à revenir au pouvoir en Israël, à l’issue des cinquièmes élections législatives en trois ans et demi. Et cette fois-ci, les analystes se sont particulièrement penchés sur les chiffres du scrutin, car ils sont tristement éloquents : 64 sièges sur les 120 de la Knesset pour l’ancien Premier ministre et sa formation radicale, composée des nationalistes du Likoud et des partis ultra-religieux.

Effondrement historique du centre-gauche

Il a fallu d’abord s’atteler à un décompte scrupuleux des bulletins, compte tenu du fait que l’écart de voix entre les deux blocs de gauche et de droite n’avait jamais dépassé les 5 000 votes. Malheureusement, les chiffres sont cette fois clairs, et il ne saurait être ici question de fraude : le pays a voté (comme en témoigne un taux de participation de 71,3 %) et exprimé son opinion, donnant aux conservateurs israéliens leur meilleur résultat électoral jamais enregistré. Au final, le Likoud, le seul parti laïc de la nouvelle coalition, remporte 32 sièges, suivi par la formation centriste Yesh Atid de Yaïr Lapid qui en gagne 24.

“Le pays a voté (comme en témoigne un taux de participation de 71,3 %) et exprimé son opinion, donnant aux conservateurs israéliens leur meilleur résultat électoral jamais enregistré”

À l’inverse, c’est un désastre pour la gauche israélienne, puisqu’aucun député du parti socialiste Meretz ne siégera lors de la 25e législature de la Knesset, et ce pour la première fois en trente ans. Les partis de la minorité arabe israélienne n’ont pas davantage brillé et cette défaite contribue à l’effondrement du centre-gauche au sein du Parlement israélien.

Ces résultats sont naturellement décevants pour tous ceux qui, en Israël, défendent la démocratie et l’État de droit. D’abord, parce qu’ils consacrent le retour d’un Premier ministre pourtant actuellement jugé pour corruption, ce qui fait fortement douter du niveau d’intégrité et d’efficacité du système judiciaire israélien. Netanyahu, qui fut le Premier ministre resté le plus longtemps à ce poste (15 ans  !) va retrouver son siège après que Yaïr Lapid se soit illustré en achevant, à l’inverse, le mandat le plus court dans l’histoire de l’État hébreu. De surcroît, “Bibi” disposera d’une majorité confortable et formera donc un gouvernement totalement en accord avec ses objectifs politiques, qui risquent de transformer radicalement le visage de la démocratie israélienne.

Le “sionisme religieux”, grand gagnant des élections

Ensuite, parce que derrière Netanyahu, les grands gagnants de cette élection sont les représentants du “sionisme religieux”, le parti HaTsionout HaDatit de Bezalel Smotrich et sa faction Otzma Yehudit de Itamar Ben Gvir, qui arrivent troisièmes avec 14 sièges. Le premier discours de Ben Gvir à l’issue du scrutin rappelait les grandes lignes d’un programme simple : un héritage juif ouvert aux juifs exclusivement, qu’ils soient laïcs ou religieux, la lutte des sionistes contre “ceux qui travaillent pour saper notre existence ici”, la volonté de faire à nouveau des juifs “les maîtres de leur propre maison”.

“Les grandes lignes d’un programme simple : un héritage juif ouvert aux juifs exclusivement, qu’ils soient laïcs ou religieux, la lutte des sionistes contre “ceux qui travaillent pour saper notre existence ici”, la volonté de faire à nouveau des juifs “les maîtres de leur propre maison”

Plus folkloriques mais tout aussi dangereux, les deux partis ultra-orthodoxes qui ont réussi à ravir 18 sièges et espèrent faire partie du futur gouvernement, menacent la justice et même le développement économique du pays. L’une des priorités législatives des sionistes religieux est ainsi de faire adopter une loi permettant de contourner les décisions de la Cour suprême d’Israël – Aryeh Deri, leader du parti Shas et deux fois condamné pour corruption et fraude fiscale, défend cette position qui complaît sans doute à Netanyahu pour les raisons que l’on imagine. Son collègue du parti United Torah Judaism estime pour sa part que les études séculières sont “inutiles” à l’économie israélienne.

Vers l’officialisation d’une politique ségrégationniste

En consacrant ce bloc hétéroclite qui mêle souverainistes et fondamentalistes religieux, les Israéliens ont voulu signifier que le discours du “camp de la paix” n’était plus en phase avec leurs aspirations. Meretz était le parti de l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin, l’architecte des accords de paix d’Oslo, et cette élection risque de le faire disparaître de la scène politique israélienne. Les travaillistes, héritiers du parti Mapaï de David Ben Gourion, le fondateur de l’État hébreu, ne sont parvenus à sauver que quatre sièges.

“En consacrant ce bloc hétéroclite qui mêle souverainistes et fondamentalistes religieux, les Israéliens ont voulu signifier que le discours du “camp de la paix” n’était plus en phase avec leurs aspirations”

Avec la quasi-disparition de la gauche israélienne et la victoire d’une extrême droite ultra-nationaliste, c’est toute une idée de l’État hébreu qui est désormais menacée. L’idéal du père fondateur Ben Gourion d’un État démocratique, pluraliste, qui fait passer l’État de droit avant la question identitaire, semble désormais appartenir au siècle dernier. Avec une troisième force politique dont les leaders (comme Smotrich) se vantent d’être “homophobe et fier de l’être”, ou d’appeler à la mort des Arabes (comme Ben Gvir), l’État hébreu risque fort d’officialiser une politique ségrégationniste qui se manifeste déjà dans les faits au quotidien. Les sujets centraux que sont la coexistence avec la minorité arabe israélienne et l’État palestinien seront désormais traités sous le seul prisme d’une préférence nationale qui s’assume comme telle. Le futur gouvernement Netanyahu sera sans nul doute animé d’un état d’esprit revanchard qui renforcera la réponse sécuritaire pour résoudre la problématique juridique et morale du conflit israélo-palestinien, altérera la Constitution israélienne, et disposera pour ce faire des quasi-pleins pouvoirs au Parlement.

L’âge sombre d’Israël

Quelles conséquences face à un tel séisme, malheureusement révélateur de l’état d’aveuglement et d’hystérie collective dans lequel le peuple israélien est tombé ? Sur le plan interne, le travail de reconstruction d’une force d’opposition est indispensable et nécessitera un difficile examen de conscience stratégique et idéologique.

“Sur le plan international, la consécration de ce bloc d’extrême droite à la tête d’Israël pousse déjà ses principaux alliés à réévaluer leur relation à l’État hébreu”

Sur le plan international, la consécration de ce bloc d’extrême droite à la tête d’Israël pousse déjà ses principaux alliés à réévaluer leur relation à l’État hébreu. À cet égard, le positionnement des États-Unis est déjà au cœur de toutes les attentions. L’administration Biden a ainsi signifié qu’elle refusera tout travail direct avec des extrémistes comme Ben Gvir, tandis que les juifs Américains, très influents outre-Atlantique, ont déjà exprimé un rejet très vif envers un futur gouvernement qui trahira tout ce que l’État hébreu était censé représenter lors de sa fondation en 1948 : une “lumière pour les nations”, une exception démocratique au Proche-Orient. Près de soixante-quinze ans plus tard, Israël est entré dans un âge sombre.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 09/11/2022.