Le début de la fin pour Benjamin Netanyahu ?

Son opposant centriste Benny Gantz a 90 jours devant lui pour convaincre les Israéliens qu’une autre politique est possible.

Il n’y a décidément pas qu’en France que la droite se déchire. C’est une véritable crise politique qui secoue Israël depuis plusieurs semaines, et elle risque peut-être de faire chuter l’actuel Premier Ministre, qui a essuyé le pire revers de sa carrière le 29 mai dernier.

Le 17 septembre prochain, les Israéliens seront de nouveau appelés aux urnes pour une seconde élection législative en quelques mois, après que la Knesset ait voté sa dissolution face à l’incapacité de Benjamin Netanyahu de former un gouvernement de coalition, en dépit des attentes. L’autorité de « Bibi » a été singulièrement écornée par cet échec, alors qu’il avait revendiqué haut et fort sa victoire aux dernières élections le 9 avril dernier.

Bien que son parti, le Likoud, et les partis de droite et religieux censés être ses alliés naturels ont gagné la majorité des sièges de la Knesset (65 sur 120), Benjamin Netanyahu n’a pas réussi à s’allier le parti d’extrême-droite Israel Beytenou, qui a obtenu 5 sièges sous la férule de son ancien ministre de la Défense Avigdor Lieberman.

Ce dernier a en effet refusé de faire partie d’un gouvernement où siégeraient également les partis ultra-orthodoxes Shahs et Judaïsme unifié de la Torah, en raison de leur désaccord concernant un projet de loi sur la conscription militaire. Ce texte obligerait les haredim (la communauté juive ultra-orthodoxe) à faire leur service militaire et à rejoindre les forces armées israéliennes, un devoir civique dont ils ont toujours été exemptés jusqu’à présent, en dépit de l’exaspération d’une partie de l’opinion publique sur ce point. Pour sa part, Lieberman a depuis longtemps soutenu que le fardeau du service militaire ne devait pas souffrir d’exceptions, et les partis ultra-orthodoxes auprès desquels il refuse de siéger sont évidemment opposés à un tel changement de situation.

En l’absence de ce soutien qui se serait avéré précieux, Netanyahu n’a pas pu trouver d’alternative, la gauche et le centre s’étant d’emblée refusés à intégrer son gouvernement à cause de ses problèmes judiciaires.

L’élection du 9 avril s’était pourtant achevée sous les meilleurs auspices pour Netanyahu. Aux termes d’une campagne électorale particulièrement violente et même qualifiée de raciste, la « droite dure » avait remporté les élections, assurant à Netanyahu de garder la main sur le pouvoir pour quatre années de plus. Dès le mois de juillet, il dépassera le record de longévité comme Premier Ministre détenu par David Ben Gourion, le père fondateur de l’Etat israélien.

« Bibi » n’avait pourtant pas remporté son cinquième mandat de façon éclatante, puisqu’il n’était arrivé que légèrement en tête face à son rival centriste Benny Gantz. Les résultats de ces élections validaient néanmoins une tendance de plus en plus assumée de l’Etat hébreu : une dérive ultra-nationaliste et résolument opposée à l’existence d’un Etat palestinien voisin d’Israël. Fort d’une bonne situation économique et sécuritaire, Benjamin Netanyahu avait ainsi assuré, entre autres promesses de campagne, qu’une fois réélu il poursuivrait la colonisation de la Cisjordanie et étendrait la loi israélienne à toutes les colonies qui y sont implantées. Ce qui signifierait très clairement la fin d’un processus de paix aboutissant à la solution de deux Etats. Profitant de la situation chaotique du Moyen-Orient depuis plus de dix ans, le Premier Ministre israélien a réussi à suffisamment marginaliser la question palestinienne pour que celle-ci ne parasite plus les relations d’Israël avec les autres pays du monde, hormis ceux du monde arabe. Les ambitions de Netanyahu ont été chaleureusement applaudies par Vladimir Poutine, mais surtout par Donald Trump, qui a reconnu la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan et le déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem – reconnaissant de facto la ville comme capitale de l’Etat hébreu.

La droite israélienne croyait donc fermement que Netanyahu leur permettrait de réaliser ce vieux rêve d’une souveraineté de leur pays étendue de la Méditerranée au Jourdain. Las, Avidgor Lieberman, par son refus d’intégrer le nouveau gouvernement, a mis tous ces espoirs à bas, et a renvoyé Netanyahu à la case départ. Chacun se renvoie désormais la responsabilité dans cette crise politique, Lieberman accusant le Likoud d’avoir provoqué la tenue de ces nouvelles élections en refusant d’adopter le projet de loi sur la conscription militaire, tandis que Jonathan Urich, le porte-parole du Likoud, tweetait en réponse : « Ce n’est pas la conscription et ce ne sont pas les ‘’principes’’. Lieberman veut détruire Netanyahu. Le reste, c’est du baratin. » Il est vrai qu’en jouant l’obstruction, Avidgor Lieberman s’impose en « faiseur de roi », ce qu’il sera peut-être de nouveau amené à faire le 17 septembre, même s’il n’a que très peu de chances de remporter l’élection. La stratégie est d’autant plus judicieuse qu’au sein du Likoud, on remet déjà en question le leadership de Netanyahu. L’ancien ministre de la Défense voit peut-être encore plus loin, renforçant sa position pour devenir le prochain Premier Ministre, une fois l’ère Netanyahu définitivement close.

Avec cette nouvelle élection, Netanyahu joue effectivement son va-tout et les enjeux n’ont jamais été aussi importants pour lui. La dissolution de la Knesset lui a certes permis de ne pas être renvoyé par le président Reuven Rivlin, mais elle plonge Israël dans une réelle instabilité politique avec une cinquième élection législative convoquée depuis 2009, et alors que la situation au Moyen-Orient est particulièrement tendue.

L’échec de Netanyahu dans la formation du nouveau gouvernement prouve que son habileté politique n’est plus ce qu’elle était, et que certains en Israël souhaitent réellement le sortir du jeu. Or, « Bibi » espérait avec cette nouvelle législature obtenir enfin l’immunité qui lui éviterait de comparaître dans les trois affaires de corruption dont il est accusé, son audition étant d’ailleurs programmée deux semaines après les nouvelles élections. Un délai bien trop court pour obtenir sa précieuse immunité, même s’il les remporte une nouvelle fois.

Preuve qu’il n’est pas encore totalement abandonné face à l’adversité, le Premier ministre sortant a reçu dès le lendemain de son échec le soutien de Donald Trump en la personne de son gendre Jared Kushner, son conseiller spécial sur le Moyen-Orient. Venu spécialement à Jérusalem, il a ainsi assuré que les discussions autour du plan de paix américain pour le Proche-Orient, le fameux « deal du siècle » censé résoudre le conflit israélo-palestinien et offrir la prospérité économique aux Palestiniens, étaient loin d’être suspendues malgré la crise politique israélienne. Ce soutien est pourtant tout aussi fragile que le reste. Cette visite, étape d’un grand tour du Moyen-Orient, n’occulte pas l’échec de Kushner à obtenir un consensus régional avant le sommet économique de Bahreïn fin juin. Les Saoudiens et les Emiratis ont confirmé leur venue, mais pas les Palestiniens, peu dupes des intentions américaines avec ce plan, qui devrait surtout entériner la mainmise d’Israël sur la Cisjordanie.

En réalité, la prochaine élection, comme les précédentes, se déroulera en deux temps : d’abord dans le secret de l’isoloir, puis dans le secret des salles de réunion de la Knesset, lorsque le parti vainqueur devra former une coalition de gouvernement. Aucun parti à lui seul n’a jamais remporté de majorité absolue à la Knesset, les gouvernements de coalition sont donc une norme de la vie politique israélienne. Mais qui dit que Netanyahu, déjà bien fragilisé, réussira en septembre ce qu’il a échoué à faire en mai ? Benny Gantz, son rival centriste, espère peut-être faire basculer le jeu en sa faveur s’il réussit à séduire un électorat lassé par cette instabilité et la personnalité d’un Premier ministre corrompu et clivant. Mais la base électorale du Likoud lui reste encore fidèle. Benny Gantz a donc 90 jours devant lui pour convaincre les Israéliens qu’une autre politique est possible.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Article paru dans Le Nouvel Economiste du 12/06/2019.

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