Le « front uni » de l’Azerbaïdjan et d’Israël, une menace pour l’Iran

L’escalade croissante entre l’Iran et l’Azerbaïdjan depuis l’automne 2022 ne donne aujourd’hui aucun signe d’apaisement. Elle connaît même un regain de violence depuis qu’un parlementaire azéri a été visé fin mars par une fusillade immédiatement attribuée à l’armée iranienne. L’évènement est intervenu alors que Bakou et Tel Aviv ont annoncé un accord pour constituer un « front uni contre l’Iran », en marge de l’inauguration de la première ambassade azérie en Israël depuis l’établissement de leurs relations en 1991.

Les demandes d’explications de l’Iran n’ont, semble t-il, fait qu’embarrasser toutes les parties. Face à la colère de Téhéran, il a notamment été remarqué que toute mention de ce « front uni » a été discrètement retirée des discours officiels disponibles sur le site du ministère des affaires étrangères israélien, tandis que l’Azerbaïdjan conservait un silence jugé coupable par les autorités iraniennes.

Alors que les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Iran sont notoirement difficiles et empreintes de méfiance réciproque, le rapprochement entre Israël et l’Azerbaïdjan, symbolisé de manière éloquente par l’ouverture de l’ambassade azérie à Tel-Aviv, constitue une préoccupation stratégique majeure pour Téhéran. Certes, l’État hébreu est un allié ancien de l’Azerbaïdjan, et s’était déjà rangé aux côtés de Bakou lors de la guerre de 2020 contre l’Arménie, en tant que fournisseurd’armes et technologies de pointe. Mais l’officialisation de leurs relations diplomatiques intervient aujourd’hui dans un contexte qui voit l’État hébreu très isolé au Moyen-Orient depuis que l’Arabie Saoudite et l’Iran ont opté pour une réconciliation inattendue. Le renforcement de ses relations bilatérales avec l’Azerbaïdjan, situé aux portes du territoire iranien, est donc devenu une garantie de sécurité essentielle pour Benjamin Netanyahu, et le meilleur moyen de faciliter la poursuite de sa stratégie d’encerclement de l’Iran.

Pour l’Azerbaïdjan, le soutien militaire israélien serait également un appui non négligeable en cas d’affrontement militaire avec l’Iran, un risque que nul ne souhaite mais qui reste néanmoins plausible. Les différends autour de la souveraineté du Haut-Karabakh, toujours sous blocus azéri, et l’absence de résolution claire de la question du corridor du Zanguezour et des connexions terrestres entre l’Iran et l’Arménie, demeurent en toile de fond des tensions actuelles. Le soupçon d’enrôlement de djihadistes de Daech aux côtés des forces azéries dans la « guerre des 44 jours », largement diffusé par l’Iran, discrédite encore un peu plus l’Azerbaïdjan dans sa volonté de résoudre ces questions autrement que par la force. Bakou comme Ankara nient toute implication de forces étrangères dans le conflit, bien que la présence de mercenaires syriens ait été largement documentée.

Cette querelle est au demeurant alimentée par une méfiance ancienne de la part de l’Iran envers son voisin, et notamment envers les mouvements séparatistes azéris, une défiance largement attisée par les médias pro-gouvernementaux et le camp Aliyev qui n’hésitent plus à recourir à une rhétorique anti-iranienne explicite. La menace panturquiste demeure ainsi réelle pour l’état-major iranien, qui voit nécessairement tout rapprochement entre Tel-Aviv et Bakou comme un risque évident pour la sécurité nationale de l’Iran.

La tentative d’assassinat de Fazil Mustapha, élu du Parlement d’Azerbaïdjan très critique envers l’Iran, n’est donc que la dernière provocation dans le bras de fer qui se joue entre les deux pays depuis octobre 2022. Des exercices militaires « Mighty Iran » le long de leur frontière commune au discours d’Ilam Aliyev déclarant l’Azerbaïdjan « principale puissance de la région » un mois plus tard, les tensions ont culminé en janvier dernier avec l’attaque de l’ambassade d’Azerbaïdjan à Téhéran, que les autorités iraniennes sont soupçonnées d’avoir tacitement commanditée, et aujourd’hui avec l’officialisation du partenariat entre Bakou et Tel-Aviv, avec l’Iran en ligne de mire. Toute cette escalade semble au demeurant cautionner la crainte des Gardiens de la Révolution, qui considèrent la gestion du double risque d’encerclement, à la fois panturquiste et israélien, comme une de leurs priorités absolues.

Dans le but de contrer la collaboration de plus en plus étroite entre Bakou et Tel-Aviv, l’Iran pourrait multiplier des opérations ciblées contre des sites sensibles en territoire azerbaïdjanais. Aujourd’hui, le risque est grand de voir la guerre rhétorique se muer en de nouvelles démonstrations de force frontalières. Pourtant, en dépit de ses violences verbales, l’Azerbaïdjan semble vouloir temporiser, comme en témoigne sa relative gêne après les déclarations du ministère israélien des affaires étrangères. Un conflit armé entre deux grandes puissances dans le Caucase du sud dépasserait en effet largement les frontières de la région pour impliquer d’autres acteurs, la Turquie et Israël naturellement, mais aussi la Russie, voire les nouveaux alliés arabes de l’Iran. Pourtant, la dégradation des relations diplomatiques entre les deux voisins ne pave guère la voie pour une désescalade, à moins d’une intervention efficace de grandes puissances extérieures.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 9/04/2023.