L’Iran au sein des Brics, vraie opportunité ou faux espoirs ?

Lors du dernier sommet des Brics à Johannesburg, décision a été prise d’ouvrir l’organisation à six nouveaux pays, dont l’Arabie saoudite, l’Égypte, et surtout l’Iran. Alors que dix-sept pays voient encore leur candidature mise en attente, l’annonce de l’entrée de Téhéran a pu apparaître comme une surprise. L’organisation se distingue en effet par son caractère hétéroclite, regroupant des régimes autoritaires et des démocraties très dissemblables – quelle proximité en effet entre l’Argentine et les Émirats arabes unis ? Pour autant, la cohérence politique est à trouver dans le désir commun à tous les pays membres de redessiner une gouvernance mondiale plus ouverte, et surtout plus indépendante de l’hégémonie financière et politique américaine.

L’Iran, pivot incontournable au coeur de l’Asie centrale

L’invitation offerte à l’Iran témoigne d’une reconfiguration géopolitique résolument orientée vers le Moyen-Orient et l’Asie, alors que la région connaît une évolution stratégique complexe où le désir de se libérer de la tutelle américaine est manifeste, notamment chez les alliés historiques des États-Unis comme l’Arabie saoudite ou les Émirats. L’influence de la Chine y est majeure, et démontre le rôle central que Téhéran occupe dans cette diversification stratégique pour, selon les propres mots de Xi Jinping, “renforcer l’objectif des Brics et s’opposer à l’unilatéralisme américain”. C’est également la preuve qu’en dépit des sanctions occidentales qui l’handicapent depuis plus de quarante ans, l’Iran est parvenu à s’imposer comme un partenaire commercial, politique et sécuritaire crédible aux yeux des économies émergentes, une puissance régionale incontournable de par son rôle pivot au cœur de l’Asie centrale.

“C’est la preuve qu’en dépit des sanctions occidentales qui l’handicapent depuis plus de quarante ans, l’Iran est parvenu à s’imposer comme un partenaire commercial, politique et sécuritaire crédible aux yeux des économies émergentes”

Les médias pro-conservateurs iraniens se plaisent à saluer l’événement comme une “réussite historique”, et il est difficile de contester qu’après une année de crise sociale et politique sévère, c’est effectivement une victoire diplomatique majeure pour Téhéran, qui voit sa légitimité en tant que puissance confirmée malgré ses enjeux domestiques. Le premier gain immédiat de cette adhésion aux Brics est de démontrer l’étendue de ses appuis sur la scène internationale. La Chine, et dans une moindre mesure la Russie, toutes deux membres fondateurs de l’organisation, se sont en effet imposées pour Téhéran comme des alternatives possibles aux Occidentaux, tant sur le plan économique que politique. Cette adhésion apparaît donc comme une validation des efforts de diversification stratégique et d’orientation des intérêts iraniens vers l’Asie. Au demeurant, le poids des Brics est loin d’être négligeable. Avec ses six membres fondateurs, l’organisation représentait déjà depuis 2011 près de 40 % de la population mondiale, leurs économies générant près du quart du PIB mondial. Par ailleurs, en cas d’adhésion confirmée de l’Iran, de l’Arabie saoudite et des Émirats au sein des Brics, l’organisation compterait six des neuf principaux producteurs de pétrole au 1er janvier 2024, permettant au bloc de gagner grandement en influence sur les cours et la production mondiale.

Pour autant, si le gain en termes de prestige est réel, les bénéfices pour la stabilisation de l’économie iranienne demeurent hypothétiques. Depuis sa création, le groupe des Brics n’est encore jamais parvenu à égaler le poids ni la cohésion du G7. Certains analystes le dénoncent d’ailleurs comme une institution purement formelle, dépourvue d’orientations claires. Certains de ses membres, comme la Chine et l’Inde, sont régulièrement en conflit sur des questions géopolitiques qui leur sont propres. D’autres, comme l’Argentine et l’Égypte, nouvelles recrues de 2023, sont deux des principaux débiteurs du FMI.

La NDB, rivale du FMI et de la Banque mondiale

L’Iran espère malgré tout que l’expansion des Brics contribuera à la poursuite de la dédollarisation des échanges internationaux, ce qui lui offrirait de nouvelles possibilités pour contourner les sanctions américaines. Le régime iranien compte notamment beaucoup sur la Nouvelle Banque de Développement (NDB pour New Develpment Bank), créée par les membres fondateurs des Brics en 2015 pour rivaliser avec le FMI et la Banque mondiale, afin d’établir des canaux de paiement en dehors du système bancaire international SWIFT – auquel il ne peut avoir recours en raison des sanctions américaines dites secondaires. Le Bangladesh, l’Égypte et les Émirats sont déjà membres de cette institution financière. Il apparaît néanmoins douteux que la NDB puisse permettre à l’Iran d’atteindre cet objectif, comme les réformateurs iraniens le rappellent en guise de critique envers Ebrahim Raïssi. À ce jour, il n’est pas clairement établi que Téhéran bénéficiera de l’adhésion à cette institution financière, précisément à cause de son statut de pays sous sanctions. À titre d’exemple, les sanctions occidentales imposées à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine ont causé d’importantes complications à la NDB, la plupart de ses emprunts étant libellés en dollars. Même si la banque dit envisager davantage de prêts en monnaies locales, elle affirme que seuls 30 % seront effectués dans le cadre d’appels d’offres locaux. Alors que plusieurs États membres des Brics refusaient déjà de s’engager auprès des banques iraniennes en raison du risque d’être impactés par les sanctions américaines, il paraît peu vraisemblable que l’Iran parvienne à obtenir des prêts de la NDB.

Des marges de manœuvre diplomatiques

La question se pose désormais à Téhéran de savoir si cette adhésion, si elle s’avérait infructueuse, pourrait renforcer l’impopularité du président iranien, et plus largement d’un régime déjà extrêmement fragilisé. Pour faire face à cette éventualité, les conservateurs la présentent déjà comme une bonne raison de rompre les négociations avec les États-Unis et de se détourner définitivement de l’Occident, loin de la ligne d’équilibre et de diversification des alliances prônée par les réformateurs.

“Fort de son adhésion à l’Organisation de coopération de Shanghai et aux Brics, l’Iran dispose aujourd’hui de davantage de marge de manœuvre dans ses négociations avec Washington”

Une telle évolution est envisageable mais pour autant, elle n’est pas dans l’intérêt de l’Iran. Fort de son adhésion à l’Organisation de coopération de Shanghai et aux Brics, manifestement appuyé par la Chine, l’Iran dispose aujourd’hui de davantage de marge de manœuvre dans ses négociations avec Washington, qui se poursuivent officieusement et de manière plutôt positive. Pour l’Iran, réussir à concilier des alliés par ailleurs rivaux est un difficile exercice d’équilibre, mais la diplomatie iranienne s’est fait une spécialité de savoir manier les contraires.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Eco du 30/08/2023.