Nucléaire iranien : l’Iran maintient le bras de fer avec les Etats-Unis

Tandis que les négociations sur le nucléaire iranien demeurent encore en suspens, bloquées autour de la question du maintien des Gardiens de la Révolution sur la liste des Foreign Terrorist Organizations, l’Iran poursuit plus que jamais son programme nucléaire. Les limites imposées récemment à l’AIEA, avec la coupure de 27 caméras de surveillance au sein de ses sites nucléaires, s’inscrivent dans cette logique, tandis que son enrichissement progressif a déjà considérablement raccourci son break-out time, le temps nécessaire pour fabriquer une bombe atomique. En vingt ans de développement nucléaire, l’Iran n’a jamais été aussi proche de cette échéance, même si de plus en plus d’experts estiment que l’objectif de Téhéran est de conserver le statut d’ « Etat du seuil », donc capable d’obtenir un arsenal nucléaire en quelques semaines sans franchir radicalement le Rubicon, afin de renforcer son pouvoir de dissuasion.

Ce statut semble confirmé par les récentes révélations des services secrets américains et israéliens concernant une excavation dans les montagnes proches du site nucléaire de Natanz, frappé en juillet 2020 par une attaque attribuée à Israël. Depuis près d’un an, Washington suit de près la construction d’un vaste réseau sous-terrain et de nouvelles infrastructures nucléaires capables de résister aussi bien à des bombes anti-bunker (des bombes conçues pour pénétrer des cibles fortifiées ou enterrées, à l’instar du Massive Ordnance Penetrator américain) qu’à des cyberattaques. Les sites sensibles iraniens en ont déjà pâti sous les administrations Bush et Obama : l’opération de cyberattaques « Jeux Olympiques », mise au point par la NSA et l’unité 8200 israélienne au début des années 2000, avait permis de modifier la vitesse de rotation des centrifugeuses de la centrale de Natanz, les rendant ainsi dysfonctionnelles. Ces opérations avaient considérablement retardé l’avancée du programme nucléaire iranien, mais n’y avait pas mis un coup d’arrêt définitif.

Loin d’être un hoax, le projet d’extension iranien a été documenté par images satellites et confirmé par des think tanks indépendants. Pour autant, l’administration Biden ne l’a jamais évoqué publiquement, tandis que Benny Gantz, le ministre de la Défense israélien, l’a rapidement mentionné le mois dernier en précisant que Téhéran prévoyait d’y installer 1000 centrifugeuses de type IR-6. Au demeurant, l’Iran ne s’en cache pas, et avait même annoncé il y a plus d’un an la construction de nouvelles infrastructures nucléaires en réponse aux attaques israéliennes.

Tel Aviv et Washington fournissent cependant une interprétation différente quant à la finalité exacte du projet d’extension du site de Natanz et son niveau de dangerosité. L’Etat hébreu y voit une confirmation de la menace que représente l’Iran et qui justifie ses propres représailles. Mais les Etats-Unis se montrent plus sereins face à un projet qui ne sera achevé que dans plusieurs années, et ne constitue donc pas une menace immédiate tant que la porte des négociations demeure ouverte. En outre, si l’Iran est en effet à quelques semaines de la capacité d’enrichissement d’uranium suffisante pour produire une bombe atomique, il lui faudrait néanmoins deux ans, y compris d’après les estimations israéliennes les plus alarmistes, pour adapter cette technologie à un usage militaire. Alors que Joe Biden compte se rendre très prochainement en Israël et en Arabie Saoudite, les deux principaux rivaux de l’Iran au Moyen-Orient, la question de cette avancée technologique sera nécessairement posée, tout comme celle de l’éventualité d’une intervention militaire menée soit par Washington, soit par Israël avec l’agrément américain. L’Etat hébreu a en effet considérablement accéléré son activisme militaire et diplomatique. Outre la récente opération « Chariots de feu », une simulation de frappe à grande échelle contre l’Iran, Tel-Aviv a révélé la mise au point d’une coopération militaire régionale avec les Etats arabes signataires des Accords d’Abraham, la Middle East Air Defense Alliance, conçue comme un outil de riposte aux éventuelles menaces militaires iraniennes.

Le message adressé par l’Iran aux Américains via ce projet est clair : si d’aventure la diplomatie échouait à Vienne, le risque d’un break-out nucléaire deviendrait hautement probable si Téhéran l’estime nécessaire pour assurer sa sécurité, notamment face à Israël, et poursuivre sa projection de puissance à l’échelle régionale. Selon l’AIEA, un tel cas de figure compromettrait sérieusement les chances de résurrection du Joint Comprehensive Plan of Action. Il faut néanmoins comprendre que l’entretien de la menace nucléaire reste le principal moyen de pression de Téhéran, et de loin son plus efficace auprès des Occidentaux, même si l’état-major américain craint bien davantage son programme de missiles balistiques et sa maîtrise des drones de pointe, un domaine où l’Iran a connu un progrès technologique significatif ces cinq dernières années, et qui lui a permis de devenir la première puissance militaire du Moyen-Orient.

Il est pourtant encore temps de confirmer un cadre acceptable au programme nucléaire iranien : conserver à l’Iran le statut d’ « Etat du seuil » serait une solution satisfaisante sur le plan idéologique et politique pour la République islamique, dont l’urgence reste malgré tout le soulagement de l’économie. Les Etats-Unis ont toutes les cartes en main pour accorder les concessions économiques et politiques légitimement attendues par Téhéran. L’issue de la tournée de Joe Biden à Tel-Aviv et Riyad éclairera sans doute les intentions de Washington en la matière, pour l’heure encore très indécises, pour ne pas dire ambiguës.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 26/06/2022.