Pour défendre ses intérêts, la France doit renouer avec une politique étrangère non-alignée

Trois mois après la crise des sous-marins français, l’Australie se risque à un nouveau « coup de Trafalgar » dont l’industrie de défense européenne va nécessairement pâtir. Canberra a indiqué vouloir « éventuellement » remplacer ses 47 hélicoptères Airbus MRH-90 Taipan, utilisés dans son armée de terre et sa marine, pour commander 40 hélicoptères Black Hawk et SeaHawk américains, jugés plus « fiables » et économiques. Certes, les Taipan ont pu accuser quelques faiblesses et manques de disponibilité ces dernières années, et leur remplacement devait de toute façon intervenir en 2037. Mais les Taipan étant produits par un consortium de trois fleurons de l’industrie de défense européenne, le français Airbus, l’italien Leonardo et le néerlandais Fokker, cette mise au rebut confirmée par la presse australienne apparaît comme une nouvelle insulte à l’égard de l’Union européenne et de la France.

Au-delà des raisons techniques qu’elle invoque pour se justifier, l’Australie ne cache pas vouloir s’engager dans une course aux armements pour répondre à la menace jugée grandissante de la Chine dans la zone Indo-Pacifique. Cette angoisse expliquerait l’abandon d’appareils encore en service, ainsi qu’une importation au coût considérable et peu avantageuse pour l’industrie australienne, qui ne sera pas chargée de l’assemblage des nouvelles acquisitions. Mais les déclarations du gouvernement australien sont significatives : pour le ministre de la Défense, la commande de Black Hawk « enverrait un message clair aux partenaires comme aux adversaires de l’Australie » quel que soit le terrain d’opération où elle s’engagerait.

On ne saurait mieux dire en effet ! Que Canberra soit discrètement poussé sur le sentier de la guerre par les Etats-Unis, qui y voient certainement un double intérêt stratégique et financier, ne fait aucun doute. Ces deux « ruptures » de contrats ou d’engagements en trois mois en faveur des Américains devraient donc véritablement confirmer aux Européens que les Etats-Unis ne font aucun cas ni de leurs intérêts, ni de l’alliance supposée les unir, et se concentrent uniquement sur leurs priorités stratégiques dont ils sont totalement exclus.

Une question plus large se pose alors. Face à une puissance qui persiste, malgré les gestes d’apaisement, à mépriser ses alliés traditionnels, pourquoi ces derniers lui conserveraient-ils leur allégeance, notamment dans le domaine diplomatique ? Délibérément méprisés et écartés d’un déploiement stratégique où ils auraient pourtant toute leur place – à l’exception notoire de la Grande-Bretagne qui conserve son statut de « lieutenant » des Etats-Unis au sein de l’AUKUS – pourquoi les Européens ne saisiraient-ils pas enfin l’occasion de s’affranchir pour défendre leurs propres intérêts ?

L’année prochaine débutera avec la présidence française du Conseil de l’Union européenne, à la suite de la Slovénie. En présentant ses objectifs jeudi dernier, Emmanuel Macron s’est fait de nouveau le chantre d’une souveraineté stratégique européenne et d’une politique de défense commune. Mais faire advenir cette « Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin » demeurera une ambition chimérique sans cet affranchissement, devenu indispensable et urgent, face à l’isolationnisme américain. « Relance, puissance, appartenance », proclame Emmanuel Macron. Aucun de ces objectifs ne pourra être atteint si la France et les Européens demeurent tétanisés face aux trahisons américaines, et persistent dans un engagement à sens unique.

Il y a pourtant un grand besoin de France en Iran, qui ne demande qu’à être satisfait. De nombreux secteurs industriels gagneraient en effet à être modernisés grâce à de nouveaux partenariats avec les groupes Bolloré et Vinci pour la gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires, Total pour le secteur clé de l’énergie et des hydrocarbures.

Si de nombreux autres exemples peuvent être évoqués, le cas de l’Iran illustre avec une éloquence particulière cette nécessité d’indépendance qui devrait donc animer la France. Pour l’heure, celle-ci s’entête à faire le choix des pays arabes du Golfe Persique et de l’atlantisme, bien que ces alliances soient de plus en plus insatisfaisantes ou ambiguës. Prenons-nous à rêver, et à imaginer que la France, à la faveur des six mois qu’elle va passer à la tête de l’Union européenne, puisse renouer avec le choix du Général de Gaulle et redevienne une nation non-alignée et indépendante, véritable leader de la diplomatie européenne sur la scène mondiale.