Pour pérenniser leur reprise diplomatique, l’Iran et le monde arabe ont besoin d’un nouvel accord nucléaire

Les efforts de normalisation entrepris ces derniers mois entre Téhéran et les principales puissances du monde arabe, et singulièrement accélérés ces derniers mois, permettent d’envisager concrètement un apaisement global du Moyen-Orient, contexte favorable au développement de relations commerciales et financières accrues. Il est certain qu’à la faveur de ces réengagements diplomatiques, cette région si instable est en train de connaître un rééquilibrage stratégique majeur qui aura d’importantes conséquences sur son avenir.

Cette réorientation est en grande partie le fruit d’une prise de conscience face à l’étendue de la puissance militaire iranienne et sa capacité de déstabilisation régionale pour éviter l’isolement. Cette menace, qui s’était concrètement manifestée avec les attaques contre les infrastructures pétrolières saoudiennes en septembre 2019, a été immédiatement prise au sérieux par tous ses voisins du Golfe Persique, qui se sont engagés plus ou moins rapidement dans un processus de normalisation avec Téhéran. A force de patience stratégique, le rapport de force imposé par l’Iran semble avoir évolué en sa faveur, si l’on en juge par les récents succès diplomatiques engrangés en termes d’échanges commerciaux et d’investissements, en particulier avec l’Arabie Saoudite, première économie du Moyen-Orient. Tous les voisins de l’Iran ont pris acte d’un principe évident : l’insécurité régionale est contre-productive pour leur développement économique.

À dater de janvier 2016 avec la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, un front commun des pétromonarchies arabes du Golfe Persique semblait s’être unanimement formé contre Téhéran. Les Emirats, le Koweit et même le Qatar, avaient rappelé leur personnel diplomatique, tandis que le Bahreïn suivait l’exemple de sa voisine saoudienne. Seul Oman avait conservé sa traditionnelle neutralité et son canal diplomatique avec l’Iran. Tous aujourd’hui ont décidé de se rapprocher de « l’ennemi » d’hier.  A la différence des Occidentaux, les voisins arabes de l’Iran se gardent de tout reproche ou jugement sur sa situation domestique, et attendent de Téhéran que cette tolérance soit réciproque.

Cette attitude agit comme un facilitateur politique. Le spectaculaire accord entre l’Arabie Saoudite et l’Iran annoncé en mars dernier, a ainsi entraîné dans son sillage les Emirats, déterminés à retrouver leur position de premier partenaire économique de l’Iran à l’échelle régionale. En 2022, le niveau d’échanges entre Téhéran, les Emirats, le Qatar, le Koweit et l’Iran atteignait environ 35 milliards de dollars, dont 24 milliards pour Abou Dhabi seulement. Le Qatar, qui compte déjà 800 compagnies iraniennes installées sur son territoire et espère développer le tourisme bilatéral, ainsi qu’Oman, qui a levé plusieurs restrictions sur les compagnies iraniennes, incarnent des « hub commerciaux » en développement. Le commerce bilatéral entre Mascate et Téhéran a ainsi atteint 1,3 milliards de dollars en mars 2022, soit une augmentation de 53 % par rapport au volume de l’année précédente, un record. De même, la reprise diplomatique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, les promesses d’ouverture d’une chambre de commerce conjointe, de reprise de l’import-export entre les deux pays et de leurs liaisons aériennes, laissent présager de nombreux projets financiers et économiques et une dynamique que l’on souhaite solide et durable.

Pour autant, les sanctions américaines demeurent toujours une ombre planant sur toute tentative entreprise par l’Iran pour sortir de l’ostracisme international, notamment en réduisant le spectre des possibilités économiques offertes à ses voisins. En vertu du paquet de sanctions successives imposées par l’administration Trump depuis mai 2018, les entreprises étrangères demeurent toujours frileuses face à la perspective d’investissements en Iran. Le business ordinaire s’est néanmoins toujours poursuivi entre Téhéran et ses voisins du Golfe Persique, et la détente diplomatique devrait notamment profiter à tout le tissu de petites et moyennes entreprises iraniennes qui ne sont pas directement inféodées à l’État ou aux Gardiens de la Révolution. En l’espèce, le sort du Joint Comprehensive Plan of Action ou de tout projet d’accord intérimaire pèse aujourd’hui très lourd dans la balance régionale et détermine clairement les calculs stratégiques des voisins de l’Iran.

Les anciens supporters de la « pression maximale » contre l’Iran – principalement l’Arabie Saoudite, les Emirats et Bahreïn – favorisent aujourd’hui la détente et souhaitent une levée des sanctions afin de pouvoir s’engager pleinement dans une coopération économique avec Téhéran. La levée des restrictions bancaires est notamment indispensable pour permettre le développement de futurs partenariats d’envergure.

La stagnation des négociations sur le nucléaire iranien constitue donc une menace pour la pérennité de l’accord irano-saoudien, et plus largement pour tout le processus de normalisation entre l’Iran et le monde arabe. La résolution de ce dossier est déterminante pour remodeler les relations stratégiques du Moyen-Orient en vue d’une stabilité régionale accrue. L’écho désormais donné aux discussions discrètes mais réelles entre Washington et Téhéran en vue de la mise au point d’un accord intérimaire, probablement non écrit, mais néanmoins tangible, est un gage d’espoir en la matière.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 18/06/2023.