Réhabiliter les Gardiens de la Révolution, seul moyen d’obtenir un nouvel accord sur le nucléaire iranien ?

Depuis le début des négociations à Vienne sur le nucléaire iranien, le temps s’est imposé comme le seul maître des horloges, un temps dont l’Iran use à son avantage face aux Etats-Unis en augmentant progressivement son seuil d’uranium enrichi. Preuve de sa bonne volonté dans le cadre des négociations, l’Iran a néanmoins accepté de baisser son niveau à 3,67%, correspondant à celui établi par l’accord de 2015. Si la garantie demandée en échange, à savoir le maintien des Etats-Unis dans l’accord en cas d’alternance politique à Washington, n’a pas encore été gravée dans le marbre, un compromis qui permettrait à Téhéran d’éviter de détruire ses centrifugeuses (sans qu’il ait été précisé s’il devrait les démanteler ou les confier à la garde d’un pays tiers) semble avoir été trouvé.

D’imminente, la signature du nouvel accord est pourtant devenue hypothétique, et les blocages causés par la position de la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine ne sont pas seuls en cause. Le contexte géopolitique, qui pourrait faire de l’Iran le nouveau fournisseur d’énergie de l’Occident, lui donne en effet un moyen de pression supplémentaire afin d’obtenir de nouvelles concessions de la part des Etats-Unis. La République islamique conditionne désormais sa signature au retrait du corps des Gardiens de la Révolution de la liste américaine des organisations terroristes, où il est inscrit depuis 2019.

Certes, cette demande a été jugée particulièrement mal venue par le camp occidental, d’autant plus que les Iraniens avaient spécifiquement demandé à ce que toutes les questions dépassant le strict domaine nucléaire ne soient pas abordées lors des négociations. Complaisante, l’administration Biden a ainsi mis de côté le programme de missiles balistiques de l’Iran et son réseau de proxies au Moyen-Orient, annonçant tout de même la semaine dernière de nouvelles sanctions contre les entités liées au programme balistique afin d’apaiser la colère de ses alliés dans la région. Robert Malley, l’envoyé spécial de la Maison-Blanche pour l’Iran, et le Secrétaire d’Etat Antony Blinken, ont affirmé que même s’il n’était plus listé comme groupe terroriste, les Etats-Unis maintiendraient leurs sanctions contre ce corps militaire qu’ils jugent illégitime.

Il sera donc très délicat pour les Américains de lever l’anathème qui frappe les Pasdaran. Mais c’est pourtant une concession qu’ils ont tout intérêt à faire.

Depuis 2007, les Gardiens de la Révolution islamique sont soumis à une diversité de sanctions qui les prive, ainsi que leurs entités affiliées, de tout commerce avec les entreprises et banques américaines. Leur désignation comme groupe terroriste ne remonte qu’à 2019, dans le cadre de la « pression maximale » de Donald Trump contre l’Iran. Mais dans les faits, aucune de ces mesures n’a eu le moindre impact sur leur influence auprès des proxies iraniens à travers le Moyen-Orient, du Liban à l’Irak en passant par le Yémen. Au contraire, c’est précisément après leur inscription sur cette liste que les Pasdaran se sont montrés les plus virulents, multipliant les représailles contre les Américains ou leurs alliés arabes dans la région.

Pour les Etats-Unis, toute la question reste de savoir si la fin justifie les moyens. La demande iranienne est finalement un bon test pour mesurer la motivation réelle des Américains à assurer la survie de l’accord de Vienne. Certes, accorder cette concession à Téhéran serait une décision clivante, à la fois aux Etats-Unis et à l’étranger, mais aussi extrêmement courageuse. Entre un accord nucléaire qui pourrait apaiser les tensions dans la région et ouvrir de vastes perspectives économiques pour les deux camps, et une désignation finalement symbolique qui n’a entamé en rien l’influence du corps militaire le plus puissant d’Iran, l’analyse coût/bénéfices penche tout de même en faveur d’un compromis, finalement relatif, avec l’Iran. Car même retirés de la liste des organisations terroristes, les Gardiens de la Révolution resteront en effet soumis aux sanctions américaines les plus anciennes à leur égard. S’il obtient gain de cause, l’Iran a promis en contrepartie de contribuer à apaiser les tensions régionales au Moyen-Orient. Doutant de sa sincérité, les Américains veulent conditionner la réhabilitation des Pasdarans à une véritable reprise en main de leurs proxies ou, à tout le moins, à des engagements publics et sans ambiguïté de la part de Téhéran.

Pour les Iraniens, le gain pourrait donc apparaître comme une simple affaire de symbole. Il est en réalité essentiel, pour les conservateurs actuellement au pouvoir, d’apaiser ces agents d’influence que sont les Gardiens de la Révolution, un corps d’élite qui dépend directement du Guide Suprême Ali Khamenei et qui œuvre, depuis quarante ans, contre les politiques des réformateurs iraniens sur les ordres du clergé. Présents dans les secteurs du bâtiment et des télécommunications, où ils ont obtenu de juteux contrats par le gouvernement, en passant par les sociétés minières, l’industrie du jeu en ligne, et jusqu’à la contrebande ou l’essentiel secteur énergétique, et en dépit du secret qui entoure leurs réelles activités, les Pasdaran contrôleraient ainsi plus du tiers de l’économie iranienne – si ce n’est plus, selon certaines estimations. Être retirée de la liste des organisations terroristes constitue donc une question de prestige et d’honneur pour une formation qui se vante par ailleurs d’être l’unique rempart contre la menace du djihad sunnite à travers le Moyen-Orient.

Force est de constater que, par ailleurs, aucune sanction américaine n’aura pu limiter leur rôle au sein de l’échiquier politique iranien, ce qui reste au demeurant une stricte affaire domestique et ne pourra en aucun cas être solutionné à court terme par une ingérence étrangère. Conserver aux Gardiens une étiquette infamante n’apporte donc rien aux Etats-Unis, et ne retire rien à l’Iran. Face à ce constat d’inutilité et au temps qui presse, autant accorder cette concession symbolique qui peut pourtant contribuer à normaliser les relations entre les ennemis d’hier.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 10/04/2022.