Iran-Israël, l’engrenage funeste

Dans la nuit du 12 au 13 juin, tandis que Washington et Téhéran poursuivaient leurs négociations de l’accord sur le nucléaire iranien, Israël a mené des frappes militaires sur le territoire iranien au mépris du droit international.

Alors que son Premier ministre Benjamin Netanyahou fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, le pays s’engouffre dans une guerre d’agression contre l’Iran, détournant l’attention médiatique du chaos humanitaire qui règne à Gaza.

Capotage des négociations sur le seuil d’enrichissement

Signataire du Traité de non-prolifération, et contrairement à Israël qui n’autorise pas les vérifications de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’Iran a respecté l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien de 2015, comme l’attestaient les rapports de AIEA, jusqu’au retrait des États-Unis en mai 2018.

En réponse à la dénonciation unilatérale par Washington du JCPOA [Joint Comprehensive Plan of Action, ndlr], Téhéran s’est affranchi de ses engagements en accélérant l’enrichissement de son uranium, dont le taux avoisine à présent les 60 %. Selon les experts militaires, une décision politique et quelques semaines suffiraient pour passer aux 90 % nécessaires à l’arme nucléaire. Ensuite, sa vectorisation sur des missiles nécessiterait au moins un an et demi.

Depuis plusieurs semaines, les négociations irano-américaines bloquaient sur cette question décisive du seuil maximal d’enrichissement d’uranium. Alors que Washington exigeait un taux zéro, Téhéran refusait de renoncer à un taux minimum nécessaire pour le développement de son programme nucléaire civil dont il a le droit en vertu du TNP. Israël a profité de l’affaiblissement intérieur du régime des mollahs et de la déroute de ses proxys pour lancer son offensive et faire capoter les négociations dont le prochain tour devait se tenir dimanche dernier à Mascate.

Objectifs ambigus d’Israël

Les buts de guerre israéliens sont ambigus, oscillant entre destruction des capacités nucléaires iraniennes et renversement du régime. Pourtant, les précédents géopolitiques de 2003 en Irak et de 2011 en Libye ont révélé les conséquences dévastatrices de telles ingérences extérieures, laissant les pays à feu et à sang et créant les conditions du chaos.

Des sites nucléaires et militaires ont été visés par les frappes israéliennes tandis que le bilan des victimes civiles s’alourdit. L’armée israélienne s’est aussi attaquée à des infrastructures énergétiques afin d’occasionner des pénuries d’électricité et de carburant, espérant entamer le soutien du régime et provoquer des mouvements populaires. Cependant, si la population iranienne, attachée à sa souveraineté, est excédée par le régime et sa répression sanglante, elle est loin d’approuver pour autant l’ingérence israélienne. Par ailleurs, l’opération risque d’être contre-productive et de pousser l’Iran à accélérer clandestinement son programme nucléaire en se retirant du TNP, comme il l’avait menacé si la ligne rouge de frappes militaires était franchie.

Dès le lendemain, l’armée iranienne a riposté en lançant des premières salves de drones puis de missiles, dont plusieurs ont percé le Dôme de fer [le système de défense aérienne mobile israélien, ndlr], et fait d’importants dégâts matériels et des victimes civiles, révélant la vulnérabilité d’Israël malgré sa suprématie militaire.

Conséquences en cascade sur la géopolitique et le commerce mondial

Cet embrasement inquiète au plus haut point les puissances régionales qui voient leurs intérêts compromis, à commencer par les pays du golfe Persique pour exporter leurs hydrocarbures et réussir leur transition économique post-pétrole. L’Arabie saoudite a d’ailleurs fermement condamné l’agression israélienne.

La Chine de son côté a dénoncé la violation de la souveraineté iranienne et appelé à un cessez-le-feu immédiat, craignant que les attaques israéliennes ne visent les installations pétrolières iraniennes. L’or noir iranien, que Pékin achète au rabais, représente près de 15 % de ses importations de brut. Si Donald Trump, en négociant avec l’Iran, espérait aussi éloigner le pays de l’orbite chinoise avec qui il avait tissé d’étroits liens durant son isolement international, l’escalade risque au contraire de renforcer l’alliance sino-iranienne.

De son côté, le Pakistan, qui promet de soutenir Téhéran, réclame une réunion de l’Organisation de la Coopération islamique pour s’unir contre Israël.

L’Iran, qui a la maîtrise du détroit d’Ormuz, par lequel transitent 20 % des hydrocarbures mondiaux, menace de bloquer son accès, faisant craindre à la communauté internationale une déstabilisation historique des chaînes d’approvisionnement mondial et l’envolée des prix du baril.

La voix trop discrète de l’Occident

La suite du conflit est entre les mains de Washington. Tel-Aviv l’exhorte à lui fournir des bombes GBU-57 dont il a besoin pour frapper les sites nucléaires de Natanz et Fordo profondément enfouis.

Pas plus tard qu’il y a un mois à Riyad, Donald Trump fustigeait l’interventionnisme tous azimuts de ses prédécesseurs. Respectera-t-il son engagement électoral de ne pas mener de guerres coûteuses et inutiles ? Ou au contraire cédera-t-il aux demandes israéliennes, faisant le choix d’une déstabilisation totale du régime iranien, au risque d’un embrasement dont la région ne sortirait pas indemne ?

Lundi 16 juin, les membres du G7 se sont réunis au Canada sur fond d’escalade militaire entre l’Iran et Israël, au point que Donald Trump a dû quitter prématurément le sommet. Alors que les pays européens ont fustigé l’agression russe en Ukraine, leur pudeur à propos de l’agression israélienne en Iran discrédite la voix de l’Occident, qui peine de plus en plus à résonner dans le monde du fait de son indignation à géométrie variable.

Les populations civiles, iraniennes comme israéliennes, victimes de l’engrenage de la violence, restent suspendues aux prochains arbitrages politiques qui décideront de l’issue du conflit.

Ardavan Amir-Aslani dans Le nouvel Economiste le 18/06/2025

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