Mercredi 25 juin, Maître Ardavan Amir-Aslani était l’invité de France Info pour réagir au cessez-le-feu imposé par Donald Trump à Israël et à l’Iran, mettant un terme à la guerre des douze jours dont l’escalade menaçait la stabilité régionale et mondiale.
Retrouvez la retranscription de son interview ci-dessous :
Comment avez-vous vécu ces dernières heures et ces événements qui s’enchaînent, avec désormais ce cessez-le-feu qui a été clairement imposé par le président américain Donald Trump ?
Je l’ai vécu comme la plupart des Iraniens que vous avez interrogés : un sentiment de soulagement avec ce cessez-le-feu, et, préalablement à celui-ci, une inquiétude permanente pour mon pays d’origine et pour sa population.
Est-ce que le fait que le régime reste en place est une déception pour vous ? C’est difficile d’appréhender cette situation avec, d’un côté, des bombardements, et de l’autre, le régime qui sauve sa tête.
Vous savez, je crois que la plupart des Iraniens distinguent dans leur esprit, d’un côté, l’amour et l’affection qu’ils ont pour leur pays et sa population, et de l’autre, le pouvoir islamique qui règne sur place depuis 47 ans. Incontestablement, l’immense majorité des Iraniens exècrent le régime islamique et espèrent son départ. En même temps, les Iraniens, dans leur immense majorité, ne supportent pas que leur pays fasse l’objet de bombardements de la part d’un pays étranger, et a fortiori par Israël, pays poursuivi pour faits de génocide devant la Cour internationale de justice. Les Iraniens considèrent qu’ils sont capables eux-mêmes de procéder à la libération de leur pays et à son retour dans le concert des nations. Et ils s’interrogent : quelle crédibilité pourrait avoir un gouvernement imposé par Israël en Iran, au lendemain de la chute de ce pouvoir, s’il devait intervenir ?
Cela dit, est-ce que le pouvoir iranien est affaibli aujourd’hui ou pas ?
Vous savez, vu de Téhéran, le pouvoir iranien ne se perçoit pas du tout fragilisé. Ils se disent qu’ils ont réussi à tenir tête pendant douze jours à l’une des armées les plus puissantes de la terre, appuyée par les États-Unis et d’autres pays membres de l’OTAN comme l’Angleterre et la France, et que le régime n’est pas tombé.
Israël voulait mettre un terme définitif à la quête de nucléaire civil et militaire de l’Iran, mais rien n’est moins certain. On ne connaît pas la situation des sites de Fordo et Natanz, et, globalement, le savoir-faire nucléaire iranien est demeuré intact. On ne sait même pas où sont passés les centaines de kilogrammes d’uranium hautement enrichi à 60 %.
Israël voulait également mettre un terme au programme balistique iranien, et l’on a vu que ce n’était pas le cas. Je pense même qu’Israël est très surpris de voir la capacité de l’Iran à résister face à sa surpuissance dans le domaine aérien.
Et troisièmement, Israël espérait la chute du régime dans les premiers jours des bombardements. Rien de tout cela n’est arrivé. Donc, vu de Téhéran, je ne suis pas certain que le pouvoir iranien considère avoir été fragilisé.
Je pense en revanche que, si le cessez-le-feu devait tenir, l’Iran va connaître une période de répression extrême.
Alors justement, vous parliez d’un régime qui reste en place et, vu de Téhéran, qui aurait remporté une grande victoire. Néanmoins, il y a quand même beaucoup de dignitaires importants de ce régime qui ont été tués durant cette guerre. Selon vous, le pouvoir en Iran va-t-il se retourner contre sa population, à la recherche des espions qui ont permis à Israël de monter cette opération ? Comment voyez-vous l’avenir ? Est-ce qu’un espoir de révolte vous paraît possible, malgré les différentes tentatives, et ô combien elles ont été réprimées ?
D’abord, je pense que le pouvoir iranien va effectivement se retourner contre ceux qu’il estime avoir trahi le pays : ceux qui ont soutenu, ne serait-ce que par leur voix ou leurs messages, les frappes israéliennes, et en particulier ceux qu’il considère comme des espions étrangers ayant participé à l’importation de drones pour les frappes effectuées depuis le territoire iranien.
Ensuite, je pense que les assassinats qu’Israël a menés contre les dirigeants iraniens constituent une erreur majeure. Les Israéliens n’ont pas saisi que l’Iran, malgré tout, est un État, et que ce n’est pas parce qu’on assassine un chef d’état-major de l’armée de l’air ou de terre que les solutions de remplacement n’existent pas. D’ailleurs, dans les heures qui ont suivi leur assassinat, ils ont été remplacés – au détriment d’Israël – par des personnes plus jeunes, plus pragmatiques et plus efficaces.
Concernant la pérennité du régime, je pense que le pouvoir iranien dispose d’environ 20 % de la population qui le soutient, soit par clientélisme, soit par affection ou idéologie. Néanmoins, il y aura un « jour d’avant » et un « jour d’après ». Le pouvoir iranien ne peut pas considérer que demain, comme disent les Anglais, ce sera « business as usual ». Il sera obligé de rendre des comptes aux Iraniens face à cet échec sécuritaire et face à leur incapacité à empêcher le contrôle de l’espace aérien par les Israéliens.
Les Iraniens éprouvent de la colère, d’abord envers Israël pour avoir bombardé leur pays, mais également envers leur propre pouvoir, qui n’a pas su les protéger, qui n’a pas su conserver la maîtrise des airs, et qui, malgré 47 ans de vociférations contre le pouvoir israélien, n’a pas été capable de l’empêcher de pénétrer sur son territoire.
Il va y avoir des comptes à rendre. Et je pense que, de toute façon, qu’il y ait ou non une suite des frappes, il y aura un changement en Iran. On ne peut pas maintenir éternellement une population, en décalage profond avec son pouvoir, dans une situation de restrictions systématiques des libertés publiques et sociales. Le pouvoir iranien sera obligé d’écouter les aspirations de la population, dont l’immense majorité est jeune et a moins de 45 ans. Ils n’ont connu, si vous voulez, que la théocratie iranienne.
Vous pensez que ce changement va venir de la population, ou peut-il aussi venir de l’intérieur, dans les cercles de pouvoir actuels ?
L’Iran est aujourd’hui dirigé par un certain nombre de groupes de pouvoir. Il y a, bien entendu, la théocratie religieuse, mais aussi les Gardiens de la révolution, qui sont la force répressive du pouvoir. Tous ces gens-là ont des enfants, et tous ces enfants aspirent à un autre mode de vie : un mode de vie séculier, un mode de vie à l’occidentale, parce que la répression et les restrictions des libertés publiques les touchent également.
Donc, si vous voulez, il y a un vent de changement qui souffle à travers le pays, et qui va exiger de la part du pouvoir des concessions. Alors, je ne pense pas que cela va intervenir dans les 24 heures, mais je pense que cela va intervenir assez rapidement. Les Iraniens considèrent – et leur histoire en témoigne – que le changement du pays doit venir des Iraniens eux-mêmes. Je vous rappelle que la première révolution constitutionnelle sur le continent asiatique a eu lieu en Iran, en 1905. Même la révolution islamique, qui a mis en place le pouvoir actuel, était la première révolution populaire sur tout le continent asiatique.
Ainsi, l’Iran a été à l’avant-garde des changements institutionnels dans la région. Et je pense que les Iraniens sont convaincus que le changement peut venir de leurs propres mains. Et puis, l’Iran d’aujourd’hui n’est pas disposé à accepter l’arrivée de dirigeants imposés par l’étranger, par la CIA ou les services du Mossad. Quelle que soit la personne, cela ne changera rien : ils veulent que le changement vienne de l’intérieur, et que la personne qui mène ce changement à son terme soit issue du pays.