Arabie saoudite : les exécutions, arme de dissuasion massive

L’usage débridé de la violence politique par MBS remplit bien son rôle : réduire au silence les pays occidentaux qui font des affaires avec lui.

Mardi 23 avril, l’Arabie Saoudite a fait exécuter 37 de ses sujets. Il serait parfaitement illusoire d’espérer y trouver les responsables de l’assassinat et du démembrement du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul le 17 novembre dernier. Ces condamnés ont été décapités comme « terroristes ». On sait pourtant qu’au royaume wahhabite des Saoud, la définition de ce que recouvre le terrorisme est pour le moins ambiguë. « Conspiration visant à fragiliser la sécurité nationale, formation de cellules terroristes, espionnage, meurtre, propagation de la foi chiite », tels étaient les chefs d’accusation listés dans le communiqué du ministère de l’Intérieur saoudien après ces exécutions. 

Les crimes précis de ces personnes n’ont pas été indiqués, hormis pour l’un d’entre eux, assassin d’une femme et potentiellement d’une seconde, le seul également à avoir été crucifié une fois exécuté et son cadavre exhibé publiquement « en guise d’avertissement pour tout criminel en puissance ».

Il faut souligner que parmi ces condamnés, trente-trois appartenaient à la communauté chiite saoudienne. Onze d’entre eux avaient été arrêtés en 2013 et soupçonnés d’espionnage pour le compte de l’Iran. Quatorze autres prévenus avaient simplement participé aux manifestations pro-démocratie entre 2011 et 2012, à l’époque des printemps arabes. Certains, au moment de leur arrestation, n’étaient pas majeurs, comme Mujtaba al-Sweikat, alors âgé de 17 ans, qui préparait son entrée à l’université américaine de Western Michigan. Après plusieurs années de détention, une mascarade de procès leur fut accordée : les avocats ne purent avoir accès à leurs clients et ceux-ci auraient été torturés pour obtenir des aveux, avant de se rétracter.

Cette exécution de masse rappelle évidemment celle de janvier 2016, où 47 hommes avaient été décapités en une journée. Parmi eux se trouvait le Sheikh Nimr Baqer al-Nimr, opposant farouche au régime des Saoud et chef chiite très respecté, ce qui avait suscité des réactions indignées et violentes en Iran et au sein de toutes les communautés chiites de la région. On ne peut douter du caractère ciblé de celle du 23 avril, d’autant que dans les provinces de l’Est du royaume, où se concentrent non seulement les populations chiites saoudiennes, mais aussi l’essentiel des puits de pétrole du pays, la présence policière a augmenté de façon significative. 

Face à ces exécutions, le silence des Occidentaux est assourdissant. Force est de constater qu’aucune sanction n’a été décidée contre le royaume saoudien… L’événement a été annoncé dans l’indifférence quasi générale. La Russie, pourtant débitrice de l’Europe à bien des égards, aurait toutes les raisons d’être jalouse de cette mansuétude à l’égard de l’Arabie Saoudite, alors qu’elle a subi nombre de sanctions économiques après l’affaire Skripal en mars 2018. 

Y aurait-il donc deux poids deux mesures ?  

Un tel mutisme n’a rien de surprenant de la part des Etats-Unis, alliés traditionnels de l’Arabie Saoudite. Washington n’a jamais caché son embarras dans l’affaire Khashoggi. Et plus récemment, Donald Trump a opposé le 16 avril un second veto à la fin de l’engagement militaire américain au Yémen. Par l’entremise de son gendre Jared Kushner, le président américain s’appuie sur Mohammed Ben Salmane dans l’espoir – sans doute illusoire – d’obtenir un plan de résolution du conflit israélo-palestinien. Et alors qu’il souhaite couper les vivres à l’Iran, Donald Trump a surtout besoin que les vannes de pétrole saoudien restent grandes ouvertes afin de stabiliser le cours mondial du brut. 

Quant aux Européens, on peut déplorer que ceux-ci, pourtant hérauts de la liberté et du respect des Droits de l’homme, ferment les yeux sur les exactions d’un royaume auquel certains d’entre eux – la France pour ne pas la nommer – sont soupçonnés de fournir des armes utilisées contre des populations civiles au Yémen.

Mohammed Ben Salmane, courtisés par les Occidentaux en dépit des rapports alarmants des services de renseignement américains et turcs faisant état de sa probable responsabilité dans l’assassinat de Jamal Khashoggi, est arrivé au pouvoir en 2015 avec l’ambition de moderniser son pays. A ce jour, hormis la liberté de conduire enfin accordée aux femmes, son mandat ne se résume qu’à une série de décisions hasardeuses, d’exécutions et d’assassinats, d’arrestations arbitraires, de séquestration et de spoliations. Force est de constater tristement que cet usage débridé de la violence politique remplit bien sa mission : c’est non seulement la population saoudienne, chiites et membres de l’opposition, qui est réduite au silence, mais aussi les pays occidentaux qui font des affaires avec l’Arabie Saoudite. La stratégie s’avère plutôt efficace pour se maintenir au pouvoir… pour le moment. 

Tout le monde croit avoir besoin de l’Arabie Saoudite… mais elle-même a besoin des autres. Sans la protection de Washington et les investissements étrangers, que deviendrait-elle ? Une inflexion politique pourrait parfaitement être exigée de sa part en échange d’accords commerciaux, sur le modèle de ce que l’on exige de l’Iran. Or, pour le moment, une telle symétrie n’existe pas, ce qui ne fait qu’augmenter l’incompréhension et la défiance des peuples de la région à l’égard des Occidentaux… et ne profite à personne. 

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Article paru dans Le Nouvel Economiste du 1/05/2019. 

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