Depuis plus de deux ans, la guerre entre les FAS (Forces armées soudanaises), armée régulière soudanaise menée par le général Al-Bourhane, et les FSR (Forces de soutien rapide), milice paramilitaire du général Mohamed Hamdan dit Hemetti, ravage le Soudan dans l’indifférence générale.
Au carrefour du Sahel et de la Corne de l’Afrique, ce pays riche en ressources et stratégique grâce à son littoral de 800 km sur la mer Rouge est malmené par les puissances étrangères, en dépit du tragique bilan humanitaire.
En 2019, un soulèvement populaire renverse la dictature d’Omar El-Béchir. Après une courte tentative de transition politique, l’armée régulière dirigée par le général Abdel Al-Bourhane et les FSR, milice issue des Janjawids qui ont participé au génocide du Darfour en 2003, fomentent un putsch en octobre 2021. Mais, dès avril 2023, cette alliance est rompue et dégénère en guerre civile.
Partition en germe
Depuis le début du conflit, les FSR ont progressé à une vitesse fulgurante et se sont emparées de Khartoum, obligeant l’armée régulière à se retrancher à Port Soudan et à y transférer toutes les institutions. Cependant, au terme de lourdes offensives menées depuis septembre, le général Al-Bourhane a revendiqué le 26 mars 2025 la libération de la capitale et a réinvesti le palais présidentiel.
Dorénavant, les FSR sont concentrées au sud et à l’ouest du pays, dans la région du Darfour, où elles sont accusées par le département d’État américain de mener des actes génocidaires, tandis que les FAS, auxquelles on reproche des crimes de guerre, contrôlent le nord et l’est du pays, faisant craindre une nouvelle partition du Soudan.
Cependant, la guerre des drones a étendu le champ des combats. Début mai, des attaques aériennes ont frappé des infrastructures stratégiques de Port Soudan, capitale de facto par laquelle transite l’aide humanitaire.
Les Émirats en soutien à la milice des FSR
Suite à ces attaques, l’armée régulière soudanaise a immédiatement rompu le peu de relations diplomatiques qui lui restait avec les Émirats arabes unis (EAU), qu’elle a qualifiés d’“État agresseur”. Depuis le début du conflit, Khartoum accuse l’émirat de soutenir militairement les FSR en les approvisionnant via son allié tchadien, en contrepartie de quoi Abu Dhabi profiterait du pillage des ressources aurifères organisé par les miliciens d’Hemetti. En dépit des rapports onusiens et des sanctions américaines prononcées contre plusieurs entreprises basées aux Émirats et accusées de violer l’embargo sur les armes au Darfour, Abu Dhabi continue de nier fermement ces allégations.
De leur côté, les FAS peuvent compter sur le soutien de la Turquie et de l’Iran qui l’approvisionnent en drones, et sur l’Égypte en matière de renseignement, qui, partageant sa frontière avec l’État soudanais, redoute l’extension du conflit.
Menaces sur la mer Rouge
Le déplacement des combats à Port Soudan, ville côtière de la mer Rouge, inquiète de plus en plus les puissances avoisinantes qui voient leurs intérêts menacés. Large de seulement 300 kilomètres maximum, la mer Rouge, par laquelle transitent plus de 12 % du commerce mondial de marchandises, est un axe maritime cardinal. Alors que les attaques des Houthis ont révélé les coûts exorbitants et les retards significatifs du détournement des navires de leur itinéraire, l’extension du conflit soudanais préoccupe la communauté internationale.
Si Moscou est parvenu, en février dernier, à décrocher auprès des autorités soudanaises un accord de principe pour l’établissement d’une base militaire à Port Soudan, anticipant une éventuelle perte de ses bases syriennes de Tartous et Hmeimim compte tenu de la chute de son allié Bachar al-Assad, les récentes attaques ont révélé la volatilité de la situation, mettant à mal les ambitions russes.
De son côté l’Arabie saoudite espère relancer le processus de Djeddah qu’elle avait parrainé en 2023, afin d’obtenir enfin l’accalmie régionale dont elle a impérativement besoin pour mener à bien ses ambitions économiques post-pétrole et ses projets touristiques sur la mer Rouge.
L’Occident tente la réconciliation
L’aggravation de la situation humanitaire, avec 150 000 victimes depuis avril 2023, plus de 12 millions de déplacés et la moitié de la population au bord de la famine, a conduit à la tenue d’une conférence à Londres le 15 avril dernier. À l’initiative du Royaume-Uni, de l’Union européenne, de l’Allemagne, de la France et de l’Union africaine, celle-ci a réuni 14 pays, dont l’Arabie saoudite et les États-Unis, pour dégager une première manne financière de 800 millions de dollars et tenter de trouver un chemin de réconciliation.
Mais le général Al-Bourhane a fustigé cette tendance de l’Occident à renvoyer dos à dos l’armée régulière et les paramilitaires. Le chef des Forces armées soudanaises a multiplié les déplacements à l’étranger – en Arabie saoudite en mars, en Égypte et Turquie en avril – afin de consolider ses alliances stratégiques dont il a impérativement besoin pour faire pression sur les EAU s’il veut, à terme, négocier une sortie de crise.
Ardavan Amir-Aslani et Sixtine Dupont dans Le nouvel Economiste le 05/06/2025
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