Cinquième anniversaire de l’accord nucléaire iranien ou le remake d’un accord mort-né

C’est un euphémisme que de dire que l’accord nucléaire iranien du 14 juillet 2015 a été profondément fragilisé par le retrait américain en mai 2018. Outre ce retrait, l’administration Trump a, de surcroit, imposé, dans le cadre de sa stratégie de « pression maximale », des sanctions économiques sévères à l’encontre de l’Iran. Néanmoins, force est de constater que plus de deux ans et demi après ce retrait, tout ce que la « pression maximale » américaine a pu générer est l’intensification de l’activité nucléaire iranienne.  Ainsi, il y a deux semaines, Téhéran a annoncé que le taux d’enrichissement de l’uranium allait être porté à 20%, un niveau proche de la concentration nécessaire pour la fabrication d’une bombe. Il a également précisé que le pays allait mettre un frein drastique à la surveillance et la vérification internationale, assurées par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (« AIEA »). Le dossier nucléaire iranien est donc revenu au-devant de la scène, à la situation ante par rapport à la date de son implémentation, il y a précisément cinq ans, 16 janvier 2016.

Or dans trois jours la nouvelle administration de Joe Biden assumera ses fonctions, ce qui mettra un terme au carnaval diplomatique auquel Donald Trump avait habitué le monde. Le Président élu n’a jamais caché son intention de faire réintégrer les Etats-Unis dans l’accord nucléaire. L’espoir est donc permis de considérer qu’un nouvel engagement diplomatique irano-américain est sur le point de démarrer. Ce d’autant que l’ensemble des personnes appelées à occuper des postes de responsabilité dans l’administration Biden ont joué un rôle clé dans la finalisation de l’accord nucléaire de 2015. Qu’il s’agisse d’Anthony Blinken, le prochain secrétaire d’Etat, de William Burns, le prochain directeur de la CIA ou encore de Jake Sullivan, le prochain conseiller à la sécurité nationale, tous ont eu un impact direct et décisif dans ces négociations.

Or, le contexte mondial a changé. En cinq ans, Donald Trump a fait de la Chine un ennemi, de la Russie un sujet de sanctions et de l’Iran le pays à abattre. Il ne sera donc pas aisé pour l’accord de redémarrer sachant que la confiance réciproque fait totalement défaut. Le premier pas pose déjà problème. En effet, qui de l’Iran ou des Etats-Unis, devra faire ce premier pas ? Biden souhaite que l’Iran prenne l’initiative et revienne au respect total de ses engagements au titre de l’accord avant sa réintégration par Washington. Les iraniens, pour leur part, ont la position inverse et considèrent que le premier pas devra être effectuer par les américains sachant que ce sont eux qui ont quitté l’accord. Cette question est donc le premier obstacle à une relative normalisation du dialogue et pourrait confronter l’administration Biden à une crise nucléaire dès le début de son mandat. En effet, l’administration rentrante américaine rencontrera l’administration finissante de Rouhani, plus encline que son successeur, à entamer des discussions avec Washington. Aucun des candidats potentiels du camp conservateur iranien, donné vainqueur des élections à venir en juin 2021, n’a l’expérience d’un dialogue avec Washington ni ne souhaite se montrer trop empressé à la recherche d’un apaisement. Rouhani, fragilisé et décrédibilisé aux yeux des électeurs iraniens ne pourra, de par l’opposition du guide, mener ces discussions qui pourront apporter les dividendes financiers dont le pays a si désespérément besoin.

Rappelons que l’idée principale, partagée à l’époque par l’administration Obama et les autres membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU, était de d’abord freiner le programme nucléaire iranien tout en évitant aborder d’autres points d’achoppement comme la projection de puissance iranienne au Moyen-Orient et son programme de missiles balistiques.  

L’espoir était que l’Iran, percevant les avantages économiques de son retour dans le concert des nations, allait être plus enclin à aborder les autres volets de la préoccupation occidentale. Or, les iraniens ont constaté, pendant les deux années et demi suivant la signature de l’accord et le retrait américain, que ce qui les pénalisait vraiment étaient les sanctions américaines liées aux non respect des droits de l’homme et au soutien allégué au terrorisme qui, elles, n’avaient pas été levées, empêchant le retour de l’Iran dans le système financier international et son accès aux financements de projets internationaux.

Contrairement aux sanctions liées au nucléaire qui peuvent être levées directement par le Président américain par voie de décret, ces autres sanctions nécessitent  un vote du congrès, vote quasi impossible à l’époque d’Obama et encore plus difficile aujourd’hui. La position de la quasi totalité des représentants républicains, à l’occasion du vote sur la destitution de Donald Trump, la semaine dernière, démontre ainsi que les thèses défendues par ce dernier continuent à régenter leur parti. Pareillement, au Sénat, les démocrates n’ont la majorité que grâce à la voie de départage du vice-président et il n’est pas certain que, s’agissant de l’Iran, pays honni par beaucoup d’entre eux, ils feraient bloc derrière la volonté de réengagement de l’administration Biden.

De surcroit, l’administration Biden voudra, à l’occasion de la reprise du dialogue, aborder outre la question du nucléaire, la question des missiles balistiques et la présence militaire iranienne au Moyen-Orient; tout cela en concertation avec l’Israel et ses alliées, les pétromonarchies du golfe persique. Pareillement, Téhéran, par la voie du Guide Ali Khamenei, a déclaré que le retour à l’accord nucléaire n’était pas l’objectif principal et qu’il fallait négocier avant tout la levée totale des sanctions, nucléaires ou pas. Il est vrai que Téhéran n’a reçu qu’une infime fraction des centaines de milliards d’investissements étrangers annoncés lors de signature en 2015. Entre temps, la guerre déclarée à la Chine par l’administration Trump a amené Beijing à apporter une alternative économique à l’Iran. Contrairement à 2015, l’unanimité au conseil de sécurité fera défaut.

Autant dire que l’accord n’est pas près de voir le jour et que l’Iran reviendra au sommet de l’agenda politique internationale dès ce fin janvier.

Par Ardavan Amir-Aslani.

Paru dans l’Atlantico du 17/01/2021.

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