Pour son premier déplacement au Moyen-Orient, Donald Trump a frappé fort, prenant à contre-pied la plupart des observateurs. Au-delà des avantages économiques considérables attendus, il a dessiné les contours de sa nouvelle politique dans cette région agitée.
Promesses d’investissements faramineux
En leur réservant sa première visite officielle, le 47e président des États-Unis a voulu ramener les pétromonarchies dans l’orbite de Washington. Adeptes du réalisme politique, celles-ci avaient amorcé depuis déjà plusieurs années une politique étrangère “non alignée”, tissant d’étroits liens aussi bien avec la Russie que la Chine qui figure parmi leurs premiers partenaires commerciaux.
Pari en voie d’être gagné : les pétromonarchies ont annoncé des promesses d’investissements titanesques aux États-Unis dans les dix prochaines années – respectivement de 600 milliards de l’Arabie saoudite, 500 milliards du Qatar et 400 milliards des Émirats arabes unis (EAU), principalement dans les technologies de pointe.
Les entreprises américaines sont aussi parvenues à décrocher d’importants contrats, à commencer par Boeing qui, en sérieuse difficulté financière, en avait plus que jamais besoin. Alors que les EAU ont passé commande de 28 avions, Qatar Airways a annoncé un contrat faramineux de 200 milliards de dollars auprès du constructeur américain.
Donnant-donnant
De leur côté, les monarchies du Golfe ne perdent pas de vue leurs intérêts. Alors que l’Arabie saoudite compte en contrepartie sur l’aval de Washington pour le développement de son industrie nucléaire civile, les EAU espèrent négocier une coopération énergétique mais surtout technologique, tant Abu Dhabi ambitionne de devenir un leader de l’intelligence artificielle.
Outre la défense de ses intérêts économiques, le président américain a profité de ce déplacement pour présenter les grandes orientations de son second mandat. À l’occasion du forum d’investissement américano-saoudien, Donald Trump a prononcé un discours de politique étrangère dans lequel il tire les leçons du passé, fustigeant l’interventionnisme tous azimuts de ses prédécesseurs néoconservateurs comme démocrates.
Eloge de souveraineté des nations
Il a salué les réussites de ses hôtes dans des termes peu communs, rendant hommage à la souveraineté des nations : “Il est essentiel que le reste du monde en prenne conscience : cette grande transformation n’est pas le fait d’interventionnistes occidentaux, ou d’hommes qui prennent de beaux avions pour venir vous donner des leçons sur la façon de vivre et de gérer vos propres affaires. Non. Les merveilles étincelantes de Riyad et d’Abou Dhabi n’ont pas été créées par les soi-disant “nation-builders”, les ‘neocons’ [ou néoconservateurs, réputés avoir la volonté d’imposer l’ordre libéral par la force si nécessaire, ndlr] ou les ‘non-profit liberals’ [organisations œuvrant dans le secteur à but non lucratif et perçues comme libérales ou progressistes sur le plan politique, ndlr] – comme ceux qui ont dépensé des milliers de milliards de dollars pour ne pas réussir à développer Kaboul, Bagdad et tant d’autres villes.”
Iran et Syrie sur la table
Donald Trump a également exposé ses ambitions stratégiques sur les dossiers brûlants du Moyen-Orient : l’issue du programme nucléaire iranien et l’avenir de la Syrie.
Malgré un véritable réquisitoire contre la politique iranienne passée, Donald Trump a rappelé sa volonté de “mettre fin aux conflits” et de “conclure un accord” avec Téhéran, écartant de facto les frappes préventives voulues par Tel Aviv. Cependant l’issue des négociations demeure incertaine, l’Iran restant intransigeant sur le maintien de son programme nucléaire civil.
Par ailleurs, à la surprise générale, le président Trump a décidé la levée des sanctions contre une Syrie à l’économie exsangue. Encouragé par Mohammed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, qui s’est dit prêt à régler la dette syrienne envers la Banque mondiale – 15 millions de dollars – et à participer à la reconstruction de l’État syrien, le président américain a rencontré dès le lendemain, mercredi 14 mai, à Riyad, Ahmed al-Charaa, l’ancien terroriste d’Al-Qaïda relooké. Véritable pari au moment où les autorités provisoires peinent à établir l’autorité de l’État et où des factions encore plus radicales, à l’image de l’État islamique, profitent du vide sécuritaire.
Prise de distance avec Israël
Autant de gestes qui n’ont pu que renforcer les tensions récentes entre Tel-Aviv et Washington. Alors qu’Israël a été exclu de la tournée présidentielle, le vice-président américain J.D Vance a de son côté annulé son déplacement à Tel-Aviv, soi-disant pour des raisons logistiques, à l’annonce de la nouvelle offensive dans l’enclave palestinienne où la tragédie humanitaire s’aggrave jour après jour. Une telle situation a empêché Donald Trump d’obtenir de la part des monarchies du Golfe l’élargissement des accords d’Abraham.
En définitive, si sur le plan économique cette première visite au Moyen-Orient est une réussite, l’issue des dossiers régionaux – l’accord nucléaire avec l’Iran, l’avenir de Gaza, du Liban et de la Syrie – demeure encore incertaine. Reste à savoir si la “méthode Trump”, baroque mais pragmatique, fonctionnera.
Ardavan Amir-Aslani et Sixtine Dupont dans Le nouvel Economiste le 22/05/2025
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