La puissance hégémonique de la Turquie en mer Egée et la faiblesse de l’union européenne

Fin novembre 2019, la Turquie et la Libye ont régularisé un protocole d’accord portant sur la délimitation de leurs frontières maritimes respectives, en ce y compris la zone économique exclusive. Cette zone est définie, par le droit de la mer, comme un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’empois des ressources. Elle s’étend à partir des côtes de l’Etat concerne jusqu’à 200 milles marins (370,4 km) de ses côtes. Ces délimitations effectuées unilatéralement par la Turquie et la Libye, sans le concours de la Grèce, font que les nouvelles frontières maritimes de la Turquie sont désormais très proches de la Crète, la plus grande île grecque. L’annonce faite par la Turquie d’entamer des opérations de forage de gaz naturel dans la région vient donc au détriment des revendications territoriales maritimes de la Grèce.

Au grand dam de la Grèce, ses alliés traditionnels, c’est à dire les Etats-Unis et l’Union européenne, se sont abstenus de prendre sa défense et lui ont opposé un silence embarrassé. Assurément, le fait que tant la Turquie que la Grèce soient membres de l’Otan complique les choses en empêchant une prise à partie en faveur de l’un ou l’autre de ces deux pays. Plus encore, le rôle prépondérant que joue la Turquie d’une part en bloquant l’immigration vers l’union européenne et au sein de la crise syrienne participe au silence de Bruxelles.

Le fait qu’en totale rupture avec la politique étrangère de Syriza, le parti de gauche qui a précédé celui de Mitsotakis à Athènes de 2015 à 2019, le gouvernement conservateur grec a tout fait pour se rapprocher de Washington, allant jusqu’à devenir le seul membre de l’Union européenne à applaudir l’assassinat du Général iranien Soleimani et en proposant de déployer des missiles en Arabie Saoudite, en vue de prévenir des attaques iraniennes, n’a pas fait grand-chose non plus en vue d’obtenir l’adhésion de Washington à sa cause. Ainsi, lors de sa rencontre avec Donald Trump en janvier dernier Mitsotakis n’a obtenu aucun engagement de la part de Washington de prendre parti pour la Grèce dans le différend qui l’oppose à la Turquie. Pire encore, sur l’initiative de la Turquie, la Grèce n’a même pas été invitée à participer à la conférence sur la Libye organisée par l’Allemagne il y a quelques semaines. La Grèce, et ce malgré le fait que ses intérêts soient désormais directement impliqués en Libye, a ainsi brillé par son absence à cette conférence où les présidents russe, français, turc ainsi que la chancelière allemande tentaient d’obtenir un éventuel cessez-le-feu entre les deux parties belligérantes libyennes et une éventuelle résolution du conflit

Par ailleurs, l’aventurisme du gouvernement grec qui envisage de déployer des troupes en Libye dans le cadre de la mission de Sofia de l’Union européenne pour l’application d’un embargo sur les armes aux parties belligérantes marque une rupture avec la politique étrangère grecque traditionnelle, politique qui avait vocation à prôner sa neutralité dans les conflits et à maintenir des relations amicales avec les grands pays voisins comme l’Iran et la Russie. C’est ainsi que les relations se sont distendues entre Téhéran et Athènes et ont amené le Président iranien à proposer hier ses bons offices entre la Russie et la Turquie dans le conflit syrien. Cette proximité de l’Iran avec la Turquie et la Russie ne présage de rien de bon pour les intérêts grecs. Les iraniens ont, en effet, moyennement apprécié la bascule de la Grèce dans le camp de Washington.

Il est permis de douter que ces initiatives aient un effet positif sur la défense de ses intérêts en la mer Égée. La Turquie, à date d’aujourd’hui a échappé à toute sanction internationale pour ses agissements en Libye. Il est fort à parier que la position de la Grèce soit fragilisée au fur et à mesure que la Turquie et la Russie approfondissent leurs liens et ce en dépit du fait que le conflit syrien les place en opposition l’un par rapport à l’autre. Les Russes envisagent même de reconnaître le gouvernement de Chypre du nord, qui n’est reconnu que par la Turquie, avec comme arrière-pensée l’établissement d’une base maritime sur place.

La marginalisation de la Grèce en mer Égée et par-delà celle de l’Union européenne semble donc inéluctable.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 9/02/2020.

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