Partie de poker sur le nucléaire iranien

Après une pause de plusieurs mois, des négociations entre les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont repris avec l’Iran, le 29 novembre dernier à Vienne, en vue de relancer le plan d’action global conjoint (JCPoA), prévoyant une réintégration internationale de Téhéran en échange d’un gel vérifiable de son programme nucléaire.

Les négociations avaient déjà repris en avril, après l’accession au pouvoir de Joe Biden, mais avaient été suspendues en raison de la victoire en juin d’un nouveau président ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, à Téhéran.

Accélération récente du programme nucléaire iranien

L’Iran, qui a pu accélérer ces derniers mois sa marche vers le seuil du nucléaire grâce à des erreurs stratégiques de Donald Trump et de Benjamin Netanyahu, a suivi à la lettre la rhétorique du guide suprême Ali Khamenei en appliquant une ligne stricte sur la question du nucléaire. En effet, depuis le retrait de l’accord des États-Unis en 2018 décidé par Donald Trump sous pression de la part de Benjamin Netanyahou, et surtout depuis le début de l’année, l’Iran a franchi plusieurs lignes rouges, notamment en portant le taux d’enrichissement d’uranium à un niveau inédit et en restreignant l’accès aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

“Depuis le retrait de l’accord des États-Unis en 2018 et surtout depuis le début de l’année, l’Iran a franchi plusieurs lignes rouges, notamment en portant le taux d’enrichissement d’uranium à un niveau inédit et en restreignant l’accès aux inspecteurs de l’AIEA”

Le but était de forcer la main de Washington pour obtenir une suppression totale des sanctions économiques appliquées à l’économie iranienne. Le négociateur nucléaire en chef, Ali Bagheri-Kani, a déclaré à la chaîne Al Jazeera le 22 novembre qu’il n’y avait aucune raison pour que l’Iran cesse ses activités nucléaires qui violent le JCPoA, puisque “la partie violatrice et non conforme à l’accord ne démontre pas, dans la pratique, son engagement envers le JCPoA”, utilisant ainsi le retrait de Washington de l’accord en 2018 comme prétexte idéal pour justifier le développement du programme nucléaire iranien.

La levée totale des sanctions en tête de liste des demandes de l’Iran

Pour ce nouveau cycle de négociations, les demandes de l’Iran sont nombreuses, de nouvelles venant s’ajouter aux anciennes.

La première exigence de Téhéran est que l’objet des négociations doit strictement porter sur la levée des sanctions. L’Iran refuse en effet, à ce stade, de discuter de son programme de missiles balistiques ou de parler des problématiques liées à la politique régionale, considérant que seuls les acteurs régionaux sont concernés. En plus de vouloir focaliser les discussions sur ce point, les responsables iraniens insistent sur leur volonté d’obtenir une levée totale des sanctions, sans compromis possible, afin d’accepter un retour au respect des engagements nucléaires pris dans le cadre du JCPoA. Cela concerne ainsi 1 500 sanctions individuelles imposées par l’administration Trump après son retrait du JCPoA en mai 2018, ainsi que les sanctions non nucléaires et autres mesures unilatérales clés imposées sous le président Obama, telles que les décrets concernant l’embargo sur les armes et la loi de 2017 Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA).

“L’Iran refuse en effet, à ce stade, de discuter de son programme de missiles balistiques ou de parler des problématiques liées à la politique régionale, considérant que seuls les acteurs régionaux sont concernés”

La deuxième demande de l’Iran est l’indemnisation des pertes subies par Téhéran à la suite du retrait de Washington décidé par Donald Trump en 2018. Téhéran demande en effet à l’administration Biden de montrer qu’elle diffère de la précédente et qu’elle souhaite sérieusement lever les sanctions et instaurer un climat de confiance nécessaire entre les négociateurs pour la suite des discussions. Le 27 octobre dernier, le ministre iranien des Affaires étrangères a réitéré sa demande à Washington de débloquer 10 milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés en guise de geste de bonne foi.

Un mécanisme de vérification de la levée effective des sanctions

Enfin, la dernière exigence de Téhéran, justifiée par les récentes désignations américaines des entités iraniennes, est la mise en place d’un mécanisme de vérification de la levée des sanctions afin de réévaluer en permanence son effectivité. Khamenei, lors de son discours du nouvel an iranien en mars 2021, a accusé l’administration Obama de n’avoir levé les sanctions que sur le papier au cours des premières années du JCPoA, tout en continuant sur le terrain à dissuader les entreprises du monde entier de faire des affaires avec l’Iran. Les responsables iraniens indiquent être enclins à autoriser un organisme impartial à superviser le processus de vérification.

“Les responsables iraniens proposent comme indicateurs de l’efficacité du processus la capacité du pays à acheter et vendre du pétrole ou encore la capacité à transférer ses réserves de devises étrangères dans son pays”

Ils proposent comme indicateurs de l’efficacité du processus la capacité du pays à acheter et vendre du pétrole (avec un seuil minimal de deux millions de barils de pétrole vendus par jour) ou encore la capacité à transférer ses réserves de devises étrangères dans son pays. Prévoyant la possibilité de l’échec des discussions, Téhéran demande également aux gouvernements européens de mettre en place une loi de blocage pour annuler les effets des sanctions américaines sur les entreprises européennes, si les sanctions étaient amenées à persister.

Les Etats-Unis et Israël en veulent plus

Du côté de Washington, l’administration Biden exige que Téhéran se remette d’abord à appliquer les termes de l’accord d’origine. De plus, Washington souhaite que des nouveaux sujets tels que les missiles balistiques et les ingérences régionales du pouvoir iranien, non évoqués dans le JCPoA initial, soient traités dans ce nouveau cycle de négociations. Pour l’instant, les États-Unis appliquent la doctrine de politique étrangère du président Théodore Roosevelt – “parler doucement tout en portant un gros bâton” – car ils souhaitent éviter une crise majeure avec des répercussions inconnues au Proche-Orient, région clé pour le commerce mondial d’or noir. Cependant, il est possible que cela ne dure pas. En effet, l’émissaire américain Robert Malley a mis en garde Téhéran en déclarant que les États-Unis ne resteraient pas “les bras croisés” si l’Iran s’approche trop près de l’obtention de l’arme nucléaire. Ennemi numéro un de l’Iran, Israël se dit quant à elle, “très préoccupé par la volonté de lever des sanctions en échange de restrictions insuffisantes sur le programme nucléaire”.

“Washington souhaite que des nouveaux sujets tels que les missiles balistiques et les ingérences régionales du pouvoir iranien, non évoqués dans le JCPoA initial, soient traités dans ce nouveau cycle de négociations”

Ainsi, compte tenu de l’objectif premier des pays occidentaux qui est d’endiguer la prolifération nucléaire de la région et surtout de l’Iran, le refus total de la part de l’Iran de parler d’autre chose que des sanctions pourrait constituer un réel point bloquant lors de ce nouveau cycle de négociations. Les négociations revêtent donc les atours d’une véritable partie de poker, où le bluff est au centre des stratégies.

Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 01/12/2021.