Pepe Mujica, le guérillero devenu chef d’État

José “Pepe” Mujica s’est éteint le 13 mai 2025, à l’âge de 89 ans, emporté par un cancer de l’œsophage. Avec lui disparaît une figure rare de la politique mondiale, un homme dont l’existence entière fut dédiée à un idéal de justice sociale, de sobriété volontaire et d’humanité. Ancien président de l’Uruguay de 2010 à 2015, guérillero devenu chef de l’État, il aura marqué son époque par la radicalité tranquille de ses engagements.

Né le 20 mai 1935 à Montevideo, José Alberto Mujica Cordano embrasse très jeune la cause révolutionnaire. Membre du mouvement Tupamaros, il passe près de 13 années en prison sous la dictature militaire, dont plusieurs dans des conditions inhumaines. De cette épreuve, il sortira sans haine, mais avec la certitude que la vie doit se vivre simplement. Ce n’est pas une apologie de la pauvreté mais un choix éthique : “je ne suis pas pauvre, pauvre est celui qui a besoin de beaucoup” disait-il.

Une ascension politique guidée par l’humilité et la résilience

Élu député en 1995, puis ministre de l’Agriculture en 2005, il accède à la présidence en 2010 sous la bannière du Front large (gauche et centre-gauche). À la tête de ce petit pays d’Amérique latine, il gouverne avec un mélange inédit de pragmatisme et de radicalité. Il légalise le cannabis, une première mondiale, il dépénalise l’avortement en 2012, ouvre le mariage aux couples homosexuels en 2013 et défend un socialisme ouvert à l’économie de marché, plaçant toujours l’être humain au centre. De ce fait, au travers de ces mesures, l’Uruguay se place à l’avant-garde des droits civiques en Amérique latine.

Sur le plan économique, l’Uruguay sous son mandat maintient une croissance stable, avec un taux de chômage tombé à 6 % en 2014 et un salaire minimum revalorisé. D’une part, il encourage l’investissement dans les énergies renouvelables – en 2015, plus de 50 % de l’électricité provenait du vent et du solaire. D’autre part, le “Plan Juntos” fut renforcé sous son mandat, bâtissant des logements sociaux pour les plus démunis.

Une vie de simplicité au service de la collectivité

Mais plus que ses réformes, c’est son mode de vie qui fascine. Surnommé “le président le plus pauvre du monde”, il refuse les fastes du pouvoir, vit dans une ferme modeste à Ricon del Cerro, roule dans une Coccinelle usée, reverse près de 90 % de son salaire à des programmes de logement social. Son austérité est un message : il veut incarner un autre rapport au pouvoir et au monde.

En 2012, lors d’un discours retentissant à Rio+20, il fustige le consumérisme et l’idolâtrie du marché. L’année suivante, à la tribune de l’ONU, il accuse l’économie mondiale d’épuiser la planète au nom d’une croissance sans fin et exhorte à “repenser le dieu du marché”. Ces prises de paroles, rares et percutantes, ont fait de lui une conscience universelle.

En définitive, Pepe Mujica n’a jamais cherché la gloire. Il aura pourtant inspiré bien au-delà de l’Uruguay, en démontrant que la politique pouvait encore être un acte de service et de sincérité. Jusqu’à la fin, il aura porté la voix des humbles et des oubliés.

Ardavan Amir-Aslani et Violette Froger dans Le nouvel Economiste le 03/06/2025

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