Volte-face de la politique américaine dans le golfe persique

Alors qu’aujourd’hui marque le premier anniversaire de l’assassinat du Général iranien Qassem Soleimani, assassinat pour lequel l’Iran avait juré vengeance, les Etats-Unis viennent de faire une volte-face radicale de leur politique de dissuasion à l’encontre de l’Iran. En effet, et contre l’avis même de ses propres Généraux, dont Kenneth F. McKenzie commandant des forces armées américaines au Moyen-Orient, le pentagone a ordonné le rapatriement du porte avion USS Nimitz jusqu’à son port d’attache dans l’Etat de Washington sur la côte pacifique des Etats-Unis et bien loin du golfe persique…

Cette désescalade soudaine, intervenant dans la foulée de l’arrivée du Nimitz dans la zone, intervient à un moment où les Etats-Unis étaient engagés dans une campagne de démonstration de leur puissance militaire à un niveau inédit. Par trois reprises, en l’espace d’une semaine, des bombardiers B-52 américains avaient survolé le golfe persique à quelques dizaines de kilomètres des côtes iraniennes. Un sous-marin à propulsion nucléaire américain, suivi d’un autre, diesel et israélien cette fois, avaient même franchi le détroit d’Ormuz, fin décembre. Alors que l’objectif proclamé de la présence de cette armada était de dissuader l’Iran de prendre pour cible les troupes américaines dans la région pour se venger de l’assassinat du Général Soleimani, beaucoup dont le Ministre iranien des affaires étrangères, considéraient qu’en fait l’objectif était de provoquer l’Iran espérant une réaction militaire de ce dernier, donnant ainsi le prétexte aux américains de procéder à des frappes contre les installations économiques et militaires iraniennes. A 17 jours de la fin de l’administration Trump, l’occasion aurait été inespérée car il est peu probable que la stratégie va-t’en guerre du Président sortant soit celle adoptée par son successeur. Toutes choses égales par ailleurs, ce rappel du Nimitz est très néfaste pour la stratégie globale américaine dans la région, rappelant, la diplomatie chancelante et instable du Président Obama. On se souvient, en effet, des lignes rouges fixées par ce dernier qui une fois franchies n’ont donné lieu à aucune réaction de la part des Etats-Unis. Le cas syrien à cet égard est édifiant.  Ainsi, le retrait du Nimitz du golfe persique jette non seulement le discrédit sur la stratégie de dissuasion des Etats-Unis à l’encontre de l’Iran, il entraine également une perte de confiance de leurs alliés arabes dans la région.

De plus, le timing de ce retrait est remarquable. Ainsi, le jour même du rappel du Nimitz, le Sénat, contrôlé par les républicains, a voté à une majorité écrasante pour contrer le véto présidentiel opposé à la loi de finance sur le budget de la défense. C’est une première durant le mandat de Donald Trump. Comment interpréter ces deux évènements autrement que comme un dédit de la politique du président sortant dans la région et le présage de l’arrivée d’une diplomatie plus apaisée; ce retrait du Nimitz a été qualifié par le pentagone lui même comme une « volonté de désescalade ». L’ère de la stratégie belliqueuse de Trump est donc bel et bien révolue.

Afin d’illustrer davantage l’inconsistance de la menace dissuasive américaine, le jour même du rappel du Nimitz, l’Iran annonçait sa décision d’enrichir non seulement l’uranium à 20%, seuil fatidique jamais vu depuis l’accord nucléaire du 14 juillet 2015, mais de le faire sur le site de Fordo, site ne devant servir à aucune forme d’enrichissement d’après l’accord. Le seuil de 20% étant une étape majeure avant l’enrichissement à 90% nécessaire pour la fabrication d’une bombe nucléaire et le site de Fordo étant difficilement accessible de par sa profondeur souterraine, cette initiative est clairement une provocation iranienne. Jusque là les dépassements de seuil de l’enrichissement par l’Iran étaient de l’ordre de 1% par rapport au 3,67% autorisés par l’accord nucléaire. Un enrichissement à 20% ne peut être anodin et marque un tournant.

Avec ce seuil de 20% comme but à atteindre, Téhéran est à 6 mois de la fabrication d’une première bombe atomique. Le pays dispose des vecteurs de lancement balistiques et maitrise déjà la militarisation de l’ogive; le message est on ne peut plus clair. L’administration Biden dispose de six mois pour aboutir à un accord avec l’Iran. Pour rappel, le scientifique iranien assassiné par Israël il y a un mois à Téhéran, état en charge des bureaux dits 110 ou 111 des gardiens de la révolution dont la mission était de développer la technologie nécessaire empêchant l’explosion des têtes de missile balistiques lors de leur retour dans l’atmosphère…

C’est dire qu’un accord est urgent.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 03/01/2021.

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