17 octobre 1961, Seine d’horreur

 

Durant la campagne présidentielle de 1958, le Général de Gaulle fait la promesse au peuple français de conserver l’Algérie française. Mais dans la vague de mouvements de demandes d’indépendances des pays africains et notamment face à la véhémence des revendications algériennes, il n’honorera jamais sa promesse de campagne.

En pleine guerre d’Algérie, plus précisément, quelques mois avant la signature des accords d’Évian, des Algériens manifestent pacifiquement à Paris contre le couvre-feu imposé par le Gouvernement. Cette décision émanant du tristement célèbre préfet de police Maurice Papon, impose en effet un couvre-feu interdisant explicitement aux « Français musulmans » de circuler entre 20h30 et 5h30. Depuis le début de la guerre d’Algérie, c’est la première fois que le FLN (Front de libération nationale) appelle à une manifestation. Tous les manifestants sont désarmés et fouillés par le FLN lui-même de sorte que la marche soit totalement pacifique. Ils ont même pour consignes de répondre par des chants si on les moleste et de ne surtout pas résister aux forces de l’ordre si on les arrête. Cependant, malgré le caractère pacifique de cette marche, unanimement reconnu par les nombreux témoins, la police envoyée sur les lieux se livre à une ratonnade. Les affrontements durent de dix-huit heures à minuit. Des dizaines d’hommes et femmes de tout âge perdent la vie et certains sont jetés dans la Seine. Et quelques 11 500 Algériens sont arrêtés en une nuit et emprisonnés dans des centres de détention (palais des sports, stade Coubertin, parc des expositions).

Le 18, Maurice Papon publie un communiqué de presse dans le Figaro dans lequel il minimise la répression de la veille en parlant de trois morts. Maurice Papon déclare alors : « La police a fait ce qu’elle devait faire ». Le 31 octobre, Roger Frey, ministre de l’Intérieur de l’époque, parlera de six morts. Cependant, Claude Toulouse, brigadier-chef en 1961 apporte des éléments qui contrecarrent la version officielle des faits : « Beaucoup de policiers attendaient cette soirée et en ont fait l’opération vengeance. Moi j’avais fini mon service à 19h mais beaucoup auraient aimé participer et même prolonger leur service pour y aller ».

A l’occasion d’obsèques d’un policier tué, Monsieur Papon avait même préconisé la chose suivante : « Pour un coup reçu, nous en rendrons dix ». Ainsi, dans un climat de psychose nationale en raison de la circulation des fausses informations et des nombreux policiers tués dans les attentats du FLN (une vingtaine en 1961), les policiers sont passés à l’offensive. « A la guerre comme à la guerre » diront certains, sauf qu’en l’occurrence, il ne s’agissait pas de soldats mais d’hommes et de femmes ordinaires.

La version de Papon et des membres du gouvernement restera la version officielle durant de nombreuses années, malgré la tentative de contestation par quelques journaux de l’époque.

La censure dure jusque dans les années 70 à travers des non-lieux et des enquêtes fermées avant d’aboutir. Cette volonté d’oubli judiciaire se voit doublée de décrets d’amnistie et de grandes difficultés d’accès aux archives puisque celles-ci sont restées scellées, classées secrets d’État, empêchant ainsi d’éclaircir certaines zones d’ombres notamment sur le nombre de victimes. Pire, aucun exemplaire du rapport de Maurice Papon n’a été conservé. Tous les exemplaires envoyés au Ministère de l’intérieur, au Premier ministre, au Président, aux archives de la préfecture de police et à la direction générale de la police ont mystérieusement « disparu ».

Il aura fallu plusieurs décennies pour voir quelques signaux d’ouverture. En effet, la résurgence de la mémoire à travers les enfants d’immigrés qui ont créé des associations, les écrits de différents auteurs et le procès de Maurice Papon sur ses actes pendant l’Occupation ont éclairci l’affaire. En 2001, la mairie de Paris envoie un signal fort avec l’installation d’une plaque commémorative sur le pont Saint-Michel. Puis, en 2006, Jacques Chirac supprime l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui reconnaissait « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». En 2011, François Hollande déclare : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression (…). La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. ». 

Plus récemment, Emmanuel Macron, lors de sa visite en Algérie en 2017, alors qu’il n’est encore qu’un candidat à la présidentielle, faisait la déclaration suivante : « La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes ».

Il était nécessaire de rappeler ces évènements tragiques soixante ans après.

Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 15/10/2020.

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