Comment la Chine et les Etats-Unis s’affrontent par Iran interposé

Le Joint Comprehensive Plan of Action, signé à Vienne en juillet 2015 et si louable dans ses intentions vis-à-vis de l’Iran, n’était néanmoins pas exempt de clauses pouvant potentiellement devenir des faiblesses. L’une d’elle concerne l’embargo sur les armes conventionnelles imposé à l’Iran pendant 5 ans, qui arrivera à échéance en octobre prochain.

Depuis plusieurs mois, les Etats-Unis n’ont pas caché leur souhait de prolonger cet embargo, en usant notamment du mécanisme de « snapback » prévu par l’accord de Vienne. Ce mécanisme permet en effet à l’un des signataires de l’accord de saisir l’ONU, si des violations de ses engagements sont observées de la part de l’Iran. Sauf vote contraire du Conseil de Sécurité – une éventualité impossible compte tenu du droit de veto des Etats-Unis – une telle procédure permettrait de rétablir automatiquement l’intégralité des résolutions et des sanctions en vigueur contre Téhéran avant 2015.

Bien que l’Iran abandonne tous les six mois une partie de ses engagements et a repris l’enrichissement nucléaire depuis le retrait unilatéral des Américains du JCPoA, les intentions de l’administration Trump semblent peu réalistes en matière juridique, pour la simple raison que les Etats-Unis ont fait le choix de ne plus être membres de l’accord de Vienne depuis mai 2018.

Début juin, le représentant permanent de l’Iran aux Nations Unies, Majid Takht-Ravanchi, avait précisément souligné que l’appel des Américains à la prolongation de l’embargo n’avait aucune valeur légale au regard du droit international. De fait, en se retirant de l’accord de Vienne il y a deux ans, les Etats-Unis se sont volontairement privés de leur droit d’exposer les violations de l’Iran et de réclamer un rétablissement des sanctions à son encontre.

C’est également tout le sens de la position européenne que les trois ministres des Affaires étrangères français, allemand et britannique, ont exposée vendredi dernier à Berlin : une telle décision risquerait d’achever ce qui reste de l’accord sur le nucléaire, que les Européens tentent de faire subsister tant bien que mal, et « toute tentative unilatérale de recourir au mécanisme de snapback des sanctions aurait de graves conséquences au Conseil de Sécurité des Nations Unies », selon les termes des ministres. Pour autant, ces derniers se sont tout de même alignés sur la position américaine concernant la levée de l’embargo sur les armes conventionnelles, estimant qu’une levée de la résolution 2231 « pourrait avoir des implications majeures pour la sécurité et la stabilité régionales ».

Le fait est que le JCPoA se délite à vue d’oeil, d’autant que son existence reste avant tout conditionnée aux inspections menées par l’AIEA en Iran… que la République islamique s’obstine à refuser. Deux rapports produits par l’agence début juin indiquent ainsi que depuis plus d’un an, les demandes d’explications à propos de matériel et d’activités nucléaires non déclarées par Téhéran au début des années 2000 n’aboutissent pas, pas plus que les demandes d’accès à deux sites considérés comme suspects par l’AIEA, qui depuis janvier n’ont toujours pas été accordées.

Certes, ces activités présumées sont anciennes, et rien ne prouve qu’elles se poursuivent. Mais ce refus systématique de la part de Téhéran alimente naturellement les soupçons d’opacité et pourrait rendre aisée une accusation de violation de son contrat avec l’AIEA. Vendredi dernier, et pour la première fois depuis 2012, l’agence s’est donc trouvée obligée de prononcer une résolution critique à l’égard de l’Iran, cosignée par les Etats-Unis et les Européens, pour l’appeler à la coopération. Cette résolution n’a pour l’heure qu’une portée symbolique, mais pourrait ouvrir la voie à un contentieux porté devant le Conseil de Sécurité.

Les Etats-Unis ne sont évidemment pas étrangers à la politisation de ce dossier, l’administration Trump cherchant publiquement « tous les moyens » de continuer à exercer sa « pression maximale » sur l’Iran.

Cependant, la résolution de l’AIEA a suscité une réponse cinglante de la part des alliés de l’Iran. La Chine a ainsi prévenu que toute sanction envers Téhéran pourrait compromettre les efforts de limitation de la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, et que l’aboutissement de cette résolution sonnerait définitivement le glas de l’Accord de Vienne si difficilement obtenu.

La survie de l’accord est donc devenue, à son corps défendant, un terrain de plus pour l’expression de l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis, les autorités chinoises ne s’étant pas privées de souligner que la responsabilité de cette situation reposait uniquement et avant tout sur les Américains. La Russie partage d’ailleurs la position de Pékin en la matière, et leur reproche de « dramatiser » les choses à l’excès.

Bien que bénéficiant du soutien de ces deux grandes puissances, et de la relative bienveillance de l’AIEA toujours ouverte à la recherche d’une solution positive, l’Iran joue néanmoins un jeu dangereux, et ne semble pas avoir retenu les leçons de ses précédents litiges avec l’agence atomique. Le contexte rappelle cruellement le début des années 2000, lorsque le pays souffrait de terribles sanctions économiques et politiques qui l’ont isolé sur la scène internationale, et dont les conséquences se ressentent encore aujourd’hui. Acculé, Téhéran n’eut alors d’autre choix que de revenir à la table des négociations pour sortir de l’impasse diplomatique.

Aujourd’hui, les menaces proférées tant du côté occidental que du côté iranien – qui se garde toujours la possibilité d’y répondre de façon « proportionnée » – ne contribuent en rien à un apaisement du climat général, et encore moins à une préservation du JCPoA, pourtant seul rempart à une escalade dangereuse dans la région. Car qui peut encore prévoir les incalculables conséquences d’une « réponse proportionnée », alors que la République islamique se trouve confrontée à la fois à la gestion de la pandémie de Covid-19, à une économie chancelante et au risque de violents troubles sociaux ? Pour l’heure, ce débat interne au régime iranien, entre pragmatiques soucieux de préserver le pays et faucons conservateurs, n’est pas encore tranché.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 24/06/2020.

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