Iran: « un accrochage entre Trump et les conservateurs iraniens est inévitable »

INTERVIEW – Pour l’avocat d’affaires franco-iranien Ardavan Amir-Aslani, l’extrémisme de la Maison-Blanche et des conservateurs iraniens « accroît fortement » les risques d’un accrochage entre les deux pays ces prochaines semaines.

La tension n’en finit plus de monter entre Téhéran et Washington. Un an jour pour jour après l’annonce du retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, l’Iran a suspendu mercredi une partie de ses engagements en donnant soixante jours aux autres signataires pour mettre en oeuvre leurs promesses de protéger les secteurs bancaire et pétrolier contre les sanctions de Washington. Le président iranien a aussi annoncé que la République islamique cesserait désormais de vendre son uranium enrichi et son eau lourde à d’autres pays, mesure prévue par l’accord de 2015. Il a ajouté qu’en l’absence de résultats après soixante jours, Téhéran reviendrait sur d’autres engagements et augmenterait son niveau d’uranium enrichi, plafonné à 3,67% par l’accord de Vienne.

Un coup de force qui intervient alors que Donald Trump a décidé le 22 avril de ne pas renouveler les dérogations qui avaient permis à huit pays (Chine, Inde, Corée du Sud, Turquie, Grèce, Italie, Japon et Taïwan) de continuer à importer du brut iranien pendant six mois. Le président américain a également décidé de déployer dimanche au Moyen-Orient le porte-avions USS Abraham Lincoln et une force de bombardiers en réponse à une « menace crédible » de la part de Téhéran. L’analyse de l’avocat d’affaires franco-iranien Ardavan Amir-Aslani.

Comment analysez-vous la décision de l’Iran de se retirer de l’accord de Vienne?

Ardavan Amir-Aslani – Les Iraniens ont fait une bêtise car cet ultimatum ne va pas changer la donne. Les cinq signataires restants (Chine, Russie, France, Royaume-Uni, Allemagne) ne devraient pas se mouiller pour Téhéran, surtout les Européens qui sont inaudibles et ne parviennent pas à peser sur ce dossier. Quand à la Chine et à la Russie, que l’on peut considérer comme des soutiens de l’Iran, il y a également peu de chance qu’ils changent le cours des choses. Pékin a fait preuve de mesure jusqu’à présent et le régime chinois se consacre d’abord aux négociations commerciales avec les États-Unis. S’agissant de la Russie, c’est un petit peu la même chose. Vladimir Poutine a d’autres priorités que celle de sauver l’accord de 2015.

Jusqu’où Donald Trump peut-il aller dans le conflit qu’il a décidé de rouvrir avec l’Iran?

C’est toute la question mais en mettant une telle pression sur le pouvoir iranien, Donald Trump est assez clair sur ses intentions: il veut provoquer un changement de régime, faire basculer le pays. Trump mène l’offensive sur tous les terrains. L’économie d’abord puisque avec les sanctions sur le pétrole, il prive Téhéran de sa principale source de revenus. Mercredi il a aussi annoncé des sanctions contre l’acier iranien. C’est stratégique car celles-ci sont destinées à attiser les grèves fréquentes depuis un an dans le secteur de l’acier. Enfin, le déploiement du porte-avions Abraham Lincoln et de plusieurs bombardiers est sans équivoque.

Quelle issue voyez-vous à cette hausse des tensions entre les deux pays?

Je pense qu’il y aura un accrochage, c’est inévitable. Tous les éléments pour que la situation s’embrase sont réunis. Dans les deux camps, ce sont les faucons qui ont le pouvoir. Trump est entouré de personnes telles que John Bolton, son conseiller à la sécurité nationale, ou son gendre Jared Kushner, qui l’encouragent à aller à la confrontation. En Iran, c’est la même chose, les conservateurs ont la mainmise sur le pouvoir. Ils espèrent une escalade pour imposer une chape de plomb sur la société iranienne. Quant aux modérés comme le président Hassan Rohani ou Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères qui a négocié l’accord de Vienne de 2015, ils ont une influence de plus en plus faible. Nous sommes donc face à deux blocs de faucons qui se font face. Et les excuses pour qu’il y ait un conflit sont légion. Cela peut être un incident en Syrie, en Irak, en mer…

Article paru dans Challenges le 9/05/2019.

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