La peur aurait-elle changé de camp ?

 

L’Iran est parvenu à inverser la pression, qui s’exerce désormais sur les Américains, les Européens et les pays arabes du Golfe.

L’Assemblée générale de l’ONU s’est ouverte hier, et on peut légitimement s’attendre à ce que le dossier iranien occupe une large place dans les débats. A ce titre, Donald Trump semble ne pas renoncer à mobiliser d’autres pays pour appuyer sa stratégie de « pression maximale » contre l’Iran. Pourtant, force est de constater que la parole américaine n’est plus ce qu’elle était. Si à l’époque du retrait américain de l’accord de Vienne, les menaces américaines pouvaient laisser présager une éventuelle capitulation de Téhéran, le jeu politique de septembre 2019 n’est désormais plus du tout le même qu’en mai 2018.

La réaction américaine face aux récentes attaques dont l’Arabie Saoudite a fait l’objet mérite qu’on s’y arrête un instant, tant elle est révélatrice d’un basculement dans l’équilibre des forces en présences.

La communauté internationale, Etats-Unis en tête, ont immédiatement accusé l’Iran d’être responsable de ces attaques. Cependant, le lieu d’émission des drones qui ont détruit ces sites reste encore sujet à débat : initialement, les Américains ont publié des images satellites prouvant que les engins venaient d’Irak, avant que la farouche dénégation du Premier ministre Adel Abdel-Mehdi ne les fasse revenir sur leurs déclarations. Preuve que Bagdad ne souhaite absolument pas s’allier à la démarche américaine face à l’Iran.

Au-delà des naturelles condamnations de la part des Etats-Unis, dont l’alliance avec l’Arabie Saoudite se base tout de même, rappelons-le, sur le principe « pétrole contre protection », Riyad n’a pour l’instant obtenu aucune action militaire de la part de son allié depuis 1945, alors que sa protection se fait plus que jamais urgente… et que le besoin américain en pétrole se fait bien moins important que par le passé.

L’administration Trump, en particulier la faction des faucons, promettait la guerre, « le feu et la fureur » aux Iraniens depuis plus d’un an. Pourtant, la destruction des deux principaux sites d’exploitation pétrolière saoudiens l’a frappée de stupeur… au point de tuer toute réaction concrète. On ne peut s’empêcher de remarquer que c’est la deuxième fois depuis le mois de juin : lors de la destruction d’un de leurs drones, par les Gardiens de la Révolution, les Etats-Unis n’avaient pas davantage réagi, Trump communiquant en grande pompe sur son revirement de dernière minute pour empêcher une réponse militaire punitive contre l’Iran. En clair, la maîtrise des airs n’est plus l’apanage des Etats-Unis, encore moins de l’Arabie Saoudite – qui malgré un budget militaire annuel de 67 milliards de dollars, n’a pas été en mesure de défendre son territoire ou de riposter seule. Cette absence de soutien à l’égard des Saoudiens fait d’ailleurs étrangement écho à la solitude dans laquelle Donald Trump a plongé Benjamin Netanyahu, défait lors des élections législatives du 17 septembre, l’un des plus farouches partisans d’une guerre américaine contre l’Iran. Comment expliquer cette étonnante attitude ?

Sur la scène internationale, la stratégie de Trump est un fiasco et fait de plus en plus apparaître les Etats-Unis comme un tigre de papier. Nicolàs Maduro est toujours président du Venezuela, et aucune armée américaine n’est venue le déposer. En Corée du Nord, Trump avait là encore promis « le feu et la fureur » avant d’entamer des négociations avec Kim Jong-Un. Aujourd’hui, elles sont au point mort, et la dénucléarisation de la péninsule coréenne n’a jamais été plus chimérique. Avec l’Iran, on observe le même mécanisme : beaucoup de rhétorique guerrière… suivie de peu d’effets. De plus, avec le récent limogeage de leur représentant en chef John Bolton, les faucons américains semblent pour l’instant avoir perdu toute influence.

Le fait est que le président américain a conditionné en partie sa réélection à une promesse de campagne, qui d’ailleurs l’honore : ne plus envoyer de soldats américains sur des terrains d’opérations étrangers. Cependant, celle-ci décrédibilise fortement ses menaces belliqueuses, a priori toujours corrélées à l’usage de la force. Mais lorsque celle-ci ne se manifeste plus… qui peut encore croire à l’interventionnisme américain ? Téhéran, vraisemblablement, n’y croit plus depuis longtemps. Les Etats-Unis avaient promis le chaos à l’Iran. Par un effet miroir d’une efficacité redoutable, c’est l’Iran qui l’a déclenché, et qui montre la faiblesse des Américains. Que ce soit au Yémen, en Irak ou dans le Golfe Persique, il semble que l’on peut abattre un de leurs drones, attaquer et arraisonner des pétroliers étrangers, et même orchestrer la plus grande frappe contre des gisements pétroliers dans l’histoire de la région – au point de forcer l’Arabie Saoudite à diviser sa production pétrolière par deux, ce qu’elle n’a jamais fait même pendant la guerre du Golfe ou la guerre d’Irak – sans que les Etats-Unis ne réagissent. Fort de ce qu’on appelle sa « profondeur stratégique », de ses relais dans tout le Moyen-Orient, de son retrait graduel de l’accord de Vienne et surtout de sa résistance face à l’adversité, l’Iran est parvenu à inverser la « pression maximale », et celle-ci s’exerce désormais à l’encontre des Américains, des Européens et  des pays arabes du Golfe Persique.

L’Arabie Saoudite, principale ennemie de l’Iran au Moyen-Orient, est incapable de se défendre sans l’aide américaine, délaissée par ses alliés émiratis, son Prince héritier empêtré dans le bourbier yéménite et l’affaire de l’assassinat de Jamal Khashoggi. Lui qui voulait « amener la bataille au cœur de l’Iran » se trouve contraint d’éteindre les feux sur son propre territoire…

Les Américains, tenus par l’engagement de leur président d’éviter un nouveau conflit, non seulement s’éloignent de leurs alliés naturels, l’Arabie Saoudite et Israël, mais constatent également à quel point ils ne seront pas soutenus localement s’ils devaient engager un conflit au Moyen-Orient.

Quant aux Européens, le but de cette stratégie est clairement de les mettre au pied du mur. Certes, ceux-ci (Allemagne, France et Grande-Bretagne) ont encore rappelé aujourd’hui à l’ONU qu’ils condamnaient fermement l’Iran pour les attaques perpétrées contre l’Arabie Saoudite. Dans le même temps, Emmanuel Macron ne ferme aucunement la porte du dialogue avec Hassan Rohani… qui a l’intention de proposer un plan de coopération régionale censée assurer la sécurité des eaux du Golfe Persque. D’ailleurs, dans un mouvement de bonne volonté, les Iraniens ont annoncé hier que le pétrolier britannique arraisonné en juillet et retenu depuis lors à Bandar Abbas, était désormais libre de ses mouvements. Le but de la stratégie iranienne reste avant tout d’amener les Européens à respecter leurs engagements, alors que la société Instex, destinée à favoriser les échanges commerciaux avec l’Iran en contournant les sanctions américaines, n’a toujours pas donné la preuve de son efficacité. Si négociations il doit y avoir, les Iraniens souhaitent obtenir un soutien réel en leur faveur de la part des Européens.

Néanmoins à ce stade, le bras de fer se poursuit. Les Etats-Unis ne s’entendront pas avec les Iraniens à moins d’obtenir un accord qui les arrangent, et les Iraniens ne veulent pas céder aux demandes américaines. Donald Trump s’illusionne encore en pensant qu’il pourra, sans craindre la contradiction, maintenir des sanctions contre un pays souverain tout en laissant la porte ouverte à un nouvel accord (plus favorable aux Etats-Unis)… sans créer de tensions avec ses alliés régionaux ni de risque d’embrasement.

Or, la politique ne pardonne rien aux apprentis sorciers. Mohammad Javad Zarif, ministre des Affaires étrangères iranien, l’a répété inlassablement au cours de l’été : « Le président Trump ne peut pas être imprévisible et s’attendre à ce que les autres soient prévisibles. L’imprévisibilité conduira à une imprévisibilité mutuelle et cette imprévisibilité, c’est le chaos. » Peut-être que ces paroles ont finalement été entendues, car il semble bien que la peur a changé de camp.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 25/09/2019. 

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