La victoire de Joe Biden redistribue les cartes au Moyen-Orient

 

Samedi soir, après plusieurs jours d’un interminable décompte, les médias ont confirmé la victoire de Joe Biden dans la course à la Maison-Blanche. Le candidat démocrate est ainsi devenu le 46ème président des Etats-Unis, au grand dépit de Donald Trump qui n’a toujours pas reconnu sa défaite.

Le monde entier a accueilli cette nouvelle avec un immense soulagement, et on se doute qu’au Moyen-Orient, deux peuples au moins l’ont perçue comme un signe d’espoir : les Palestiniens, et les Iraniens. Quatre ans d’administration Trump ont en effet mis un coup d’arrêt, pour les premiers, à l’avancée des négociations pour obtenir un Etat existant côte-à-côte avec Israël ; pour les seconds, à la normalisation d’une situation économique et internationale pénalisée par des séries de sanctions. Entre le retrait américain du Joint Comprehensive Plan of Action en mai 2018 et la campagne de « pression maximale » sur l’Iran, et le « plan de paix pour le Proche-Orient » présenté en janvier 2020, ces deux dernières années avaient singulièrement concentré des décisions américaines catastrophiques pour ces deux acteurs du Moyen-Orient et plus largement, pour la stabilité de la région.

Joe Biden n’a jamais caché son souhait de revenir à des relations équilibrées et fondées sur le dialogue, tant avec l’Iran qu’avec l’Autorité palestinienne et l’Etat hébreu. A maintes reprises, il a manifesté sa volonté de ramener les Etats-Unis dans le cadre de l’accord de Vienne ou à tout le moins, de reprendre les négociations avec Téhéran. De même, loin du favoritisme affiché par Donald Trump à la cause israélienne, le nouveau président reste en phase avec la position traditionnelle de son parti, le soutien envers une solution à deux Etats.

A l’aune de ces prises de position, le gouvernement de Benjamin Netanyahu n’a naturellement pas accueilli la nouvelle de l’élection de Joe Biden avec beaucoup d’enthousiasme. Il a fallu pas moins de douze heures au Premier ministre israélien pour saluer l’issue de l’élection présidentielle américaine avec les termes les plus neutres – de peur, sans doute, de représailles de Donald Trump, qui conserve encore les rênes du pouvoir jusqu’en janvier 2021. Trois jours avant l’annonce presque officielle des résultats, c’est le ministre des Affaires des colonies qui résumait finalement la tendance à Tel-Aviv dans le Jerusalem Post : si une position de la Maison-Blanche moins clémente en faveur de l’annexion des colonies israéliennes n’inquiète pas outre mesure, la possibilité d’un accord de Vienne normalisé y suscite en revanche une véritable angoisse. Au moment de ses déclarations, le ministre estimait ainsi qu’une victoire de Joe Biden entraînerait « une confrontation probable entre Israël et l’Iran ».

Ce qui se veut une mise en garde résonne néanmoins comme un terrible aveu d’impuissance. Particulièrement préoccupé, pour ne pas dire obsédé, par la montée en puissance de l’Iran dans la région, l’Etat hébreu n’a cessé de militer en faveur de son isolement international, objectif que le travail de l’administration Obama comptait rendre caduc avec la signature de l’accord de Vienne. L’arrivée de Donald Trump et la relation triangulaire entretenue entre Washington, Tel-Aviv et Riyad, a permis de mettre un coup fatal à ce processus de normalisation économique et politique. La victoire de Joe Biden sonne comme un retour à la case départ et à la politique qui prévalait sous la présidence de Barack Obama. Pour Netanyahu, dont la popularité était déjà en berne depuis un an, elle est synonyme d’une véritable fragilisation de sa position sur l’échiquier politique israélien. Certains analystes estiment ainsi que l’administration Biden pourrait tout simplement poursuivre ses objectifs… sans tenir compte de l’opinion d’Israël. Les tensions assumées entre Benjamin Netanyahu et l’administration Obama avaient d’ailleurs occupé le début de l’année 2015, lorsque le Premier ministre israélien s’était sévèrement exprimé contre le futur accord de Vienne devant le Congrès américain. Celui qui était alors vice-Président avait volontairement boudé le discours, prétextant des engagements à l’étranger.

Même si les analystes estiment déjà que le conflit israélo-palestinien n’occupera pas l’essentiel de la politique étrangère de la future administration – à l’inverse des relations avec la Chine et les Européens, et la lutte contre le changement climatique – les relations américano-iraniennes devraient occuper en revanche une bonne partie de l’actualité géopolitique des prochains mois. Celles-ci pourraient s’améliorer considérablement car même si à Téhéran, nul ne s’est ouvertement déclaré en faveur du nouveau président, il est évident que le régime accueillerait avec soulagement de nouvelles négociations assorties de réelles garanties sur les engagements américains, tant la situation économique de l’Iran est devenue intenable, voire politiquement dangereuse pour la République islamique.

Dans un tel contexte, Israël pourrait-il se considérer libre de mener une action militaire contre l’Iran ? L’hypothèse reste peu probable car, même si Joe Biden ne renouera pas avec une politique étrangère interventionniste au Moyen-Orient, il ne poursuivra sans doute pas non plus l’isolationnisme éhonté de son prédécesseur. Aussi, même si une redéfinition des équilibres est attendue, on n’imagine mal Washington ne pas imposer son veto, ou l’Etat hébreu passer outre. La menace d’une confrontation militaire ouverte entre ces deux grandes puissances militaires du Moyen-Orient n’est donc pas crédible.

En revanche, un plan de durcissement de sanctions américaines le semble bien davantage. Hier matin, un haut responsable de l’administration Trump a ainsi confirmé qu’elle continuerait à « promouvoir des politiques pro-israéliennes aussi longtemps que le président Trump sera en fonction ». Dès samedi, Elliott Abrams, envoyé spécial, s’est ainsi rendu en Israël pour rencontrer Benjamin Netanyahu et son conseiller à la sécurité nationale et discuter d’une série de nouvelles sanctions contre Téhéran. Nul doute que le président sortant, mis en échec dans cette stratégie dans les dernières semaines avant le scrutin, tentera durant les dix semaines de pouvoir qui lui restent de pérenniser sa « pression maximale » au point de rendre la situation inextricable pour Joe Biden.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 10/11/2020.

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