Le plan de paix de Trump illustre une fois de plus l’isolement des Palestiniens

Il est très significatif que Benjamin Netanyahu ait été présent lorsque Donald Trump a dévoilé son « plan pour la paix au Proche-Orient » mardi dernier à la Maison-Blanche, et que Mahmoud Abbas ait brillé par son absence. On pourrait s’en étonner, puisque ce plan, conçu par le gendre du président Jared Kushner, se propose de créer les conditions de création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. Mais une lecture des détails de ce projet, mis au point sans aucune concertation avec les Palestiniens, démontre rapidement que celui-ci répond en tous points aux intérêts israéliens.

Il aura donc fallu trois ans à l’administration Trump pour rendre publique ce que les Palestiniens considèrent comme une humiliation et une insulte à leurs droits, et qu’ils ont rejeté en bloc.

En premier lieu, le « deal du siècle » confirme la souveraineté d’Israël sur la totalité de la vallée du Jourdain, contrôlée depuis la Guerre des Six Jours de 1967, mais également sur les colonies israéliennes présentes en Cisjordanie, pourtant illégales au regard du droit international et même israélien. Donald Trump a eu beau soutenir que son plan doublait le territoire palestinien déterminé par les accords d’Oslo – notamment en taillant deux poches dans le désert israélien du Néguev près de Gaza – dans les faits, il le dépèce littéralement et le réduit d’au moins 30%. Cet Etat palestinien morcelé serait de surcroit dépendant d’un « réseau innovant de routes, de ponts et de tunnels » ou « d’infrastructures de pointe », la liaison entre Gaza et la Cisjordanie devant notamment être assurée par un train à grande vitesse.

Le sort de Jérusalem, « capitale indivisible et libérée » de l’Etat hébreu, est à l’avenant : le plan n’accorde comme « capitale » aux Palestiniens qu’une Jérusalem-Est située en dehors de la ville historique, dans les villages se trouvant à l’est du mur de séparation israélien érigé à partir de 2002. Ce territoire ne contient aucun symbole religieux, et à ce titre, aucune souveraineté palestinienne n’est reconnue sur les lieux saints de la vieille ville. La Jordanie voit sa position de gardien neutre de l’Esplanade des Mosquées confirmée.

Enfin, cet Etat palestinien devra démilitariser la bande de Gaza, cesser de verser de l’argent « aux terroristes détenus en Israël » et à leurs familles, et se verra en outre interdire tout recours devant des institutions internationales comme la Cour pénale internationale. Donald Trump promet en contrepartie de ces concessions, qu’aucun Etat souverain n’accepterait, un essor économique soutenu financièrement à hauteur de 50 milliards de dollars, qui devrait multiplier par deux le PIB palestinien, diviser par deux le taux de pauvreté, créer un million d’emplois et faire passer le taux de chômage sous la barre des 10%. Mais comment cela serait-il possible dans un Etat dépourvu de la maîtrise de son espace aérien, comme le plan le stipule, et sans accès portuaire ?

Depuis décembre 2017 et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, le divorce est donc de nouveau confirmé entre l’Autorité palestinienne et l’administration Trump face à ce « deal du siècle » qui pose surtout les conditions d’une reddition palestinienne, chose totalement inacceptable pour Mahmoud Abbas. Le vieux chef de 84 ans a martelé lors de la réunion de la Ligue arabe samedi au Caire : « Je n’accepterai jamais cette solution. Je ne veux pas que l’on se souvienne de moi comme celui qui a vendu Jérusalem. […] Les Palestiniens ont le droit de continuer leur lutte légitime par des moyens pacifiques pour mettre fin à l’occupation. » Néanmoins, la solution à deux Etats – qui inclut la formation d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967 avec pour capitale Jérusalem-Est, secteur palestinien de la ville annexé et occupé par Israël – pour laquelle le chef de l’Autorité palestinienne s’est battu toute sa vie, voit sa réalisation plus hypothétique que jamais. Car les réactions, y compris de ses alliés arabes historiques, au plan de paix de Trump ont montré à quel point il était diplomatiquement isolé.

Certes, la Ligue Arabe a condamné ce plan « qui ne respecte pas les droits fondamentaux ni les aspirations du peuple palestinien », et refusé « de coopérer avec l’administration américaine pour mettre ce plan en œuvre »… mais seulement après quatre jours de tergiversations et une réponse d’abord gênée de ses pays membres – Jordanie, Arabie Saoudite et Egypte – qui appelaient à la reprise d’un dialogue israélo-palestinien sous l’égide des Etats-Unis. Depuis longtemps déjà, la cause palestinienne ne fédère plus les pays arabes du Moyen-Orient, qui préfèrent conserver l’alliance américaine face à l’Iran que de défendre une cause qu’ils estiment perdue d’avance.

Certes, à l’inverse, il n’a fallu que quelques heures aux Européens, après le dévoilement du plan, pour le dénoncer et rappeler leur volonté d’œuvrer en faveur d’une solution à deux Etats. Si ce rare élan d’unanimité a été remarqué, l’extrême prudence des déclarations du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, n’est pas non plus passé inaperçue. Ce n’est qu’après avoir salué au préalable « l’initiative prise aujourd’hui par les Etats-Unis, une occasion de relancer les efforts nécessaires et urgents en vue d’une solution viable » qu’il a souligné « l’engagement ferme et unanime en faveur d’une solution négociée et viable prévoyant deux Etats qui tiennent compte des aspirations légitimes tant des Palestiniens que des Israéliens, en respectant toutes les résolutions pertinentes ».

Mais si cette position est réellement commune au sein de l’Union, comment ne pas s’étonner que la France elle-même ne se soit pas plus fortement déclarée en faveur d’une solution à deux Etats, lors de la visite d’Emmanuel Macron à Jérusalem les 23 et 24 janvier dernier ? Le président français, qui affiche une diplomatie volontariste sur d’autres dossiers, est resté étrangement silencieux et prudent sur l’avenir de l’Etat palestinien. On ne peut s’empêcher de dresser une embarrassante comparaison avec les réactions internationales qui avaient suivi l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Pourtant opérée avec l’approbation de la population locale, cette annexion avait entraîné une série de sanctions économiques de la part des Occidentaux. Il semble que le respect de la souveraineté des Etats et de la volonté des peuples soit à géométrie variable et ne s’applique pas, en tout état de cause, au cas palestinien.

Ces réactions timides démontrent peut-être le peu de crédibilité accordée à ce plan de paix, qui intervient dans un moment politique particulièrement tendu, entre les élections israéliennes en mars et américaines en novembre. Mais n’est-ce pas pécher par excès d’optimisme que de penser que la droite israélienne n’y verra pas un blanc-seing pour annexer de facto les colonies de Cisjordanie, ce qui déclencherait une réaction palestinienne immédiate ? Que fera alors la communauté internationale prise de court ? Mahmoud Abbas a d’ores et déjà menacé de stopper la coopération sécuritaire avec Israël et les Etats-Unis, et les dispositions concernant la gestion de l’Esplanade des Mosquées contiennent à elles seules les ferments d’une discorde future. Certes, la Jordanie reste le garant du status-quo, mais dans le même temps, sous pression de la droite messianique israélienne dont il reprend mot pour mot les éléments de langage, Donald Trump a évoqué le droit des croyants « de toutes les confessions » à prier sur le site – ce que les Juifs ne peuvent faire à l’heure actuelle, l’emplacement exact du Temple étant sujet à débat. Si certains Palestiniens peuvent regarder d’un air indifférent l’annexion des colonies israéliennes, une restriction de l’accès à la mosquée Al-Aqsa rallierait facilement tout un peuple. Aujourd’hui, le point le plus sensible du Moyen-Orient reste sans nul doute l’Esplanade, et ce plan pour la paix pose bien davantage les conditions d’un affrontement entre Israël et l’Autorité palestinienne dans les mois à venir que d’une résolution de ce conflit, qui reste pour l’heure sans issue.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 05/02/2020.

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