Les ambitions de MBS stoppées net par le coronavirus

Le coronavirus aura t-il raison du royaume des Saoud ? Face à une accélération dramatique de la propagation du virus depuis début juin, l’Arabie Saoudite n’a en effet pas eu d’autre choix que de restreindre drastiquement le nombre de pèlerins qui viendront cette année accomplir le Hajj, le pèlerinage à la Mecque. En temps ordinaire, le royaume accueille pourtant entre 1,9 et 3,2 millions de pèlerins musulmans par an, ce qui représente près de 8 milliards de dollars de revenus. L’année 2020 n’en verra que 10 000, obligatoirement de nationalité saoudienne. On se figure aisément le montant de la colossale perte financière pour le royaume.

Cette difficile décision résume finalement à elle seule à quel point le coronavirus risque d’impacter l’équilibre de l’Arabie Saoudite à long terme. Menacée, comme les autres pays du Moyen-Orient, par la virulence de la pandémie, affaiblie par la baisse des cours du pétrole, à la fois en raison de la guerre des prix lancée par l’Arabie Saoudite début mars et de l’actuelle récession mondiale, elle risque non seulement de ne pas pouvoir se moderniser, comme le souhaitait si ardemment le Prince héritier Mohammed Ben Salmane, mais également de ne même plus avoir les moyens de son style de vie basé sur la rente.

Ironiquement, c’est la découverte du pétrole qui avait mis fin, dans les années 1930, à la dépendance économique du royaume saoudien pour les subsides générés par le Hajj, alors encore modestes. De source principale de revenus, celui-ci s’est finalement mué en outil précieux dans le cadre de la diplomatie religieuse saoudienne dans le monde musulman.

Depuis lors, le budget de l’Etat-providence saoudien s’était presque exclusivement appuyé sur les revenus pétroliers. Mais face aux aléas de la demande, aux crises économiques mondiales successives et à la raréfaction programmée des ressources naturelles, Riyad s’était enfin résignée, sous l’impulsion du Prince héritier, à mettre en place un programme de diversification économique. Avec une population active de seulement 42%, et entre 300 000 et 400 000 jeunes Saoudiens entrant sur le marché du travail chaque année, il y avait effectivement urgence à proposer un projet d’envergure.

Le plan « Vision 2030 » présenté en 2016 par Mohammed Ben Salmane affichait ainsi son ambition de faire de l’Arabie Saoudite un pays « moderne », où la consommation, le divertissement et l’ouverture au tourisme étranger, mais aussi la privatisation de nombreux secteurs de l’économie et le développement de villes futuristes comme le projet Neom, remplaceraient cette trop grande dépendance aux hydrocarbures. Le plan comptait ainsi 14 objectifs de réformes économiques, 11 réformes sociales, et huit réformes administratives à réaliser en quinze ans. Cependant, dès son annonce, le plan semblait manquer de crédibilité pour rattraper le retard accusé par le royaume par rapport à ses voisins qataris ou émiratis, déjà engagés depuis de nombreuses années dans une transition énergétique et une diversification économique bien plus avancées.

Dans ce cadre, un retour aux fondamentaux, avec un développement accru du tourisme religieux, s’imposait également comme une évidence pour Riyad, avec un objectif de 30 millions de pèlerins par an – soit une multiplication par 10 du chiffre actuel ! Illustration de la fragilité globale de ce projet, à l’heure d’une restriction massive des déplacements vers l’étranger, en particulier pour les pays musulmans d’Asie et du Moyen-Orient dramatiquement touchés par une flambée de cas de contamination, l’idée risque de ne plus faire recette…

Plus globalement, face aux mesures de confinement des populations et à la baisse du trafic aérien, face à un tourisme mondial qui risque de ne pas retrouver son niveau avant 2023, et à la chute de la demande mondiale de pétrole, c’est la viabilité même du plan Vision 2030 qui est remise en cause, selon de nombreux analystes.

A l’époque de son lancement, ce plan visait 1000 milliards de dollars d’investissements étrangers, 1000 milliards de dollars consacrés à des méga-projets d’infrastructures, un abondement du secteur minier de 67 milliards de dollars et une augmentation de la part du PIB non pétrolier de 16 à 50%.

Mais même avant l’impact de la pandémie, l’évolution était-elle déjà en marche ? C’est douteux. La presse étrangère avait d’ailleurs remarqué que, de façon assez significative, la section du site « Vision 2030 » attestant de l’avancée des projets, n’avait plus été mise à jour depuis deux ans.  Le chômage touche toujours 12% de la population active, et si la part du secteur non-pétrolier avait effectivement enregistré en 2019 une croissance de 3,3% sa meilleure augmentation depuis 2014, la croissance économique globale saoudienne n’a augmenté que de 0,3%.

La privatisation d’une partie du capital de Saudi Aramco, qui devait générer plusieurs milliards de dollars de retombées financières destinées à la soutenabilité du plan Vision 2030, a été plus que décevante. Seuls 1,5% du capital, contre les 5% prévus initialement, ont été introduits en Bourse, soit 25,6 milliards de dollars destinés au fonds public finançant le plan, très loin des bénéfices espérés il y a quatre ans. Ce d’autant que les principaux souscripteurs étaient l’Emirat d’Abou Dhabi à hauteur de 5 milliards et ceux de la famille Saoud qui avaient vu leurs actifs gelés… Enfin, les timides avancées sociales, représentées par l’obtention du droit de conduire par les femmes et l’ouverture des cinémas, n’ont pas été jugées suffisamment convaincantes pour attirer les investisseurs étrangers.

Aujourd’hui, la baisse des revenus pétroliers, d’ores et déjà divisés par deux par rapport à 2019, a considérablement fragilisé les finances du royaume. L’agence de notation financière Fitch prévoit notamment une contraction du secteur non-pétrolier saoudien de 4% pour 2020, une très mauvaise tendance pour les efforts de diversification économique du pays. Les secteurs des transports, de la construction et de l’habillement ont été fortement touchés par les mesures de confinement, de même que près de deux tiers des start-up et PME, qui devaient représenter 35% du PIB d’ici 2030. Pour financer ses mesures d’austérité face à la récession, Riyad a déjà prélevé près de 8 milliards sur le budget destiné au plan Vision 2030. Et pour l’heure, le reste de ces fonds servent davantage à l’achat d’actifs étrangers à bas coût qu’aux investissements locaux. A cet égard, le projet de ville futuriste Neom, si cher au cœur du Prince héritier, à la position particulièrement stratégique dans le cadre d’une normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël, mais dont le développement accusait déjà de graves lenteurs, risque quant à lui de finir enterré sous les sables du désert, comme un rêve de grandeur vain et inachevé.

Mais plus encore que ses ambitions économiques, la récession menace gravement la stabilité même du royaume. Le gouvernement a d’ores et déjà annoncé un triplement de la TVA sur les biens et les services de 5 à 15%, la suppression d’une aide de 266 dollars destinée aux fonctionnaires et envisage d’autres mesures d’austérité. Les Saoudiens, habitués depuis toujours à un généreux Etat-providence, les accepteront-ils sans exiger de réécrire le contrat social qui les lie à leurs dirigeants ? Rien n’est moins sûr… En 2016, « MBS » promettait un avenir brillant à son pays. Mais aujourd’hui, sous les traits du coronavirus, l’imprévisible semble avoir considérablement assombri à la fois celui de l’Arabie Saoudite, et le sien.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 08/07/2020.

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