L’étrange pas de deux d’Emmanuel Macron avec le Hezbollah

Le président français Emmanuel Macron avait insisté, la semaine dernière lors de sa visite au Liban après la catastrophe à Beyrouth, sur la nécessité d' »unité » de la communauté internationale, malgré « les conditions géopolitiques » autour du Liban. Comment expliquer le double discours d’Emmanuel Macron sur le Hezbollah ? Quelle ligne politique la France devrait-elle adopter face au Hezbollah ?

Atlantico.fr : Comment expliquer le double discours d’Emmanuel Macron sur le Hezbollah ?

Ardavan Amir-Aslani : Je crois que le président a choisi d’opter pour la realpolitik, au détriment d’un jusqu’au-boutisme diplomatique qui a pu coûter cher à la France par le passé. On se souvient notamment de l’échec de la stratégie française en Syrie. Premier pays à couper ses relations avec Damas et à fermer son ambassade, fermement opposé à Bachar El-Assad et lui imposant des sanctions, la France s’est rapidement retrouvée hors-jeu face à d’autres puissances plus pragmatiques dans la gestion de la guerre civile syrienne. Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron a d’ailleurs toujours prôné l’usage du réalisme et du pragmatisme face aux complexes enjeux géopolitiques du Moyen-Orient. Il ne souhaite visiblement pas répéter les erreurs de ces prédécesseurs, qui soutenaient trop ouvertement un camp face à un autre.

Effectivement, si l’on compare son discours de la résidence des Pins, qui désigne la classe politique libanaise dans son ensemble, et le contenu des échanges qui auraient eu lieu entre le président français et son homologue américain vendredi dernier à propos du Hezbollah, on remarque un hiatus. Tout en désignant le Hezbollah – sans le nommer – au même titre que les autres partis de la scène politique libanaise, comme responsable de la faillite du Liban et de la corruption généralisée qui le gangrène, Emmanuel Macron a voulu convaincre le président américain que les sanctions qui impactent son financement par l’Iran sont contreproductives et que, loin de les affaiblir tous deux, elles les renforcent. C’est reconnaître que le Hezbollah, comme l’Iran d’ailleurs, est un partenaire que l’on ne peut écarter de la table des négociations. La population libanaise elle-même le sait et le dit non sans dépit : rien au Liban, aucune sortie de crise ni reconstruction, ne pourra se faire sans le Hezbollah. Ce n’est pas une puissance étrangère : c’est un mouvement politique, militaire et religieux représentant les chiites libanais, un parti de gouvernement élu démocratiquement par près d’un quart de la population libanaise, allié au parti chrétien du président libanais Michel Aoun, enfin considéré comme le mouvement qui a garanti l’intégrité du Liban face à l’avancée de Daech en 2014. Certes, le contentieux entre le Hezbollah et Israël est incontestable, mais on ne peut pas considérer la réalité du mouvement uniquement sous ce prisme-là. Aujourd’hui, c’est l’une des principales forces politiques du Liban, et Emmanuel Macron prend acte de cette réalité.

Quels sont les dangers de cet « en même temps » géopolitique ?

Par définition, ce « en même temps » si cher à Emmanuel Macron est un exercice d’équilibre ardu à tenir, et qui n’est pas exempt d’incohérences. Sur le dossier iranien par exemple, la France souhaite le maintien du Joint Comprehensive Plan of Action, et « en même temps », soutient les Etats-Unis lorsqu’ils veulent proroger l’embargo sur les armes imposé à l’Iran. Pour couper court aux accusations de paternalisme et d’ingérence au Liban, le président français martèle sans cesse qu’il se refuse à prendre parti et cherche à conserver une certaine neutralité. « En même temps », il appelle finalement à lever les sanctions contre le Hezbollah et à reprendre le dialogue avec Hassan Nasrallah. Qu’on le veuille ou non, c’est une façon d’intervenir en sa faveur.

Effectivement, dans un contexte aussi complexe que celui du Moyen-Orient, prendre parti pour un camp ou l’autre, sous-estimer l’assise locale d’un adversaire, est un pari hasardeux qui peut in fine vous disqualifier. Emmanuel Macron tente d’éviter cet écueil, manie l’implicite et la diplomatie, qui est l’art de ménager tout le monde, mais le danger d’une telle stratégie, qui peut apparaître illisible, indécise, et finalement impuissante, c’est au final de ne contenter personne.

Quelle ligne politique la France devrait-elle adopter face au Hezbollah ?

Le choix du réalisme, donc du dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés, semble la meilleure option possible. Depuis la fondation du Hezbollah en 1982, la France s’est toujours méfiée du mouvement et l’a finalement ménagé. Elle reste traumatisée par l’attentat-suicide du Drakkar à Beyrouth en octobre 1983. Traiter avec le Hezbollah est indispensable pour résoudre le chaos libanais, tout en restant conscient que le statu-quo l’arrange, au même titre que les autres partis… Mais nier le poids du Hezbollah sur l’échiquier politique libanais, ce serait non seulement nier la réalité du Liban d’aujourd’hui, mais aussi risquer d’y impliquer davantage l’Iran.

Bien que le Hezbollah ait gagné sa « libanité » depuis la guerre contre Israël en 2006 et par la voie des urnes, « en même temps », il reste une émanation historique iranienne. Or, l’Iran est un acteur essentiel du contexte géopolitique du Moyen-Orient, il est impossible de le considérer comme quantité négligeable, surtout au Liban, où il est le principal allié du Hezbollah et des chiites libanais, longtemps considérés comme des citoyens de seconde zone, et pour la défense desquels il n’hésitera pas à intervenir. L’Iran a d’autant plus de poids aujourd’hui qu’il a donné la preuve de l’inefficacité des sanctions, qui renforcerait presque celui qui les subit. Malgré la « pression maximale » exercée par Donald Trump depuis deux ans, l’Iran est plus puissant que jamais en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. Avec la signature du « Lion-Dragon Deal » de 25 ans avec Pékin, il a démontré qu’il existe des alternatives à la puissance occidentale. L’Iran dispose du soutien de la Chine et de la Russie jusqu’au sein du Conseil de Sécurité, où elles ont récemment déclaré vouloir opposer leur veto à la résolution américaine pour la prorogation de l’embargo sur les armes. Les Etats-Unis et les Européens n’ont plus le monopole de la résolution des conflits. Si la France veut retrouver un rôle de médiateur crédible, il faut qu’elle reconnaisse ce monde multipolaire et qu’elle fasse effectivement preuve de pragmatisme.

Paru dans l’Atlantico du 12/08/2020.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *