Pakistan-Arabie saoudite, ou les limites de la solidarité islamique

Le 5 janvier dernier, soit six semaines à peine après avoir été nommé chef d’état-major des armées pakistanaises, le général Amir Munir se rendait discrètement en Arabie saoudite pour échanger avec le ministre de la Défense saoudien et le prince héritier Mohammed Ben Salmane. Quatre jours plus tard, le général s’entretenait également avec le président émirati Mohammed Ben Zayed al Nayhan et ses conseillers en charge de la sécurité nationale.

Le fait qu’Amir Munir se soit rendu si rapidement dans le royaume wahhabite après sa nomination n’est pas dû au hasard. Ancien directeur général de l’ISI [Inter-Services Intelligence, ndlr], les services de renseignements pakistanais, le général entretient des relations de longue date avec Riyad puisqu’il fut attaché d’ambassade militaire en Arabie saoudite au début des années 2000. Il connaît donc parfaitement l’ampleur de la coopération militaire entre les deux pays.

Arabie saoudite, mécène du nucléaire pakistanais

Officiellement, selon les médias saoudiens qui ne se sont pas étalés sur le sujet, la visite du 5 janvier visait à “souligner la solidité et la durabilité des relations bilatérales entre deux pays frères, ainsi qu’à discuter de leur coopération en matière de défense, des moyens de la renforcer, en plus de discuter des enjeux régionaux et internationaux qui les concerne tous deux”.

“Le Pakistan, puissance nucléaire depuis 1999 et première armée du monde musulman en termes de capacités opérationnelles, détient un arsenal nucléaire officieusement à la disposition de l’Arabie saoudite, qui a largement financé le programme nucléaire pakistanais dès les années 1970”

Le propos résume assez bien le contour de la relation pakistano-saoudienne, à ceci près qu’il exclut délibérément un de ses aspects à la fois les plus connus et les plus secrets : le fait que le Pakistan, puissance nucléaire depuis 1999 et première armée du monde musulman en termes de capacités opérationnelles, détient un arsenal nucléaire officieusement à la disposition de l’Arabie saoudite, qui a largement financé le programme nucléaire pakistanais dès les années 1970 en échange d’un droit d’usage sur les armes produites. Depuis plus de vingt ans, le dynamisme des relations diplomatiques entre les deux pays, notamment autour des questions de défense, a semblé confirmer ce “mécénat” bien particulier. Nul doute que l’objet de la visite d’Amir Munir à Riyad ait été de faire le point, auprès des autorités saoudiennes, sur l’étendue de cet arsenal, alors que l’Iran, rival honni de l’Arabie saoudite, est devenu un “État du seuil”.

Un rival devenu redevable

La relation entre le Pakistan et l’Arabie saoudite est particulière au sein du monde musulman. “Pays des Purs” autoproclamé, le Pakistan a d’abord constitué un rival inquiétant pour le royaume wahhabite, en raison de sa très nombreuse population musulmane sunnite, de sa position stratégique entre l’Asie et le Moyen-Orient, du dynamisme de sa vie politique – le Pakistan est une république islamique – et de ses grandes compétences en matière militaire.

“Le Pakistan reste victime de politiques publiques hasardeuses qui ont entravé son développement et l’ont placé à la merci de riches puissances extérieures, rôle que l’Arabie saoudite a volontiers endossé dès les années 1960”

Mais le Pakistan reste néanmoins victime de politiques publiques hasardeuses qui ont entravé son développement et l’ont placé à la merci de riches puissances extérieures, rôle que l’Arabie saoudite a volontiers endossé dès les années 1960, avec des objectifs idéologiques non dissimulés. En outre, les services de la meilleure armée du monde musulman se payent. L’argent demeure en effet, aujourd’hui plus que jamais, l’un des principaux ressorts de la coopération pakistano-saoudienne, alors qu’Islamabad fait face à une multiplicité de crises.

Le Pakistan en crise économique majeure

Crise économique d’abord, qui s’aggrave avec une croissance en baisse et une inflation à 20 %, une forte dépréciation de la roupie, et une dette extérieure de 138 milliards de dollars selon le FMI, dont près de 40 milliards sont dus à la Chine. Celle-ci se double d’une crise monétaire car en ce début d’année 2023, le pays est en effet au bord du défaut de paiement. Les réserves de change du Pakistan ont atteint leur plus bas niveau historique en chutant à 6 milliards de dollars – ce qui ne couvrirait que trois semaines d’importations – niveau qui entraîne à son tour une crise énergétique. Le 3 janvier, le gouvernement présentait un plan de réduction de la consommation électrique, faute d’importations suffisantes en pétrole et en gaz pour faire fonctionner les centrales.

Des bailleurs de fonds pour gérer la crise environnementale

Enfin, impossible d’ignorer une crise de fond, la crise environnementale et sociale qui est sans doute le plus important défi du Pakistan pour les années à venir. Sa position géographique, au pied des glaciers de l’Himalaya, le rend particulièrement vulnérable face aux effets du changement climatique, la fonte des glaciers et la proximité des fleuves Indus et de ses affluents générant des épisodes d’inondations qui seront amenés à se multiplier si rien n’est fait pour adapter le pays.

“La crise environnementale et sociale est sans doute le plus important défi du Pakistan pour les années à venir. Sa position géographique, au pied des glaciers de l’Himalaya, le rend particulièrement vulnérable face aux effets du changement climatique”

Pour l’heure, le Pakistan ne dispose même pas des ressources nécessaires pour se remettre des dévastatrices inondations de l’été dernier, qui ont fait 1 700 morts, impacté plus de 33 millions de personnes et placé près d’un tiers du pays sous les eaux. La France a contribué à la reconstruction du pays à hauteur de 360 millions d’euros, un maigre soutien comparé aux 20 milliards de dollars engagés sur quatre ans par l’Arabie saoudite pour soutenir l’économie pakistanaise, et au prêt de 2 milliards de dollars prolongé par les Émirats arabes unis, assorti d’une rallonge de 1 milliard pour lui éviter le défaut de paiement. Le FMI s’est certes engagé sur un prêt de 7 milliards de dollars, mais celui-ci n’a été versé qu’à moitié à Islamabad, le gouvernement pakistanais rechignant à respecter les conditions de l’institution de réduire les subventions au secteur de l’énergie et d’augmenter les recettes fiscales.

Entre la Chine et l’Iran

Les bailleurs de fonds moins exigeants et davantage intéressés par ce que le Pakistan peut leur offrir y gardent donc la préséance… L’Arabie saoudite profite en outre du développement des relations entre le Pakistan et la Chine, qui fournit à l’armée pakistanaise tanks, avions de chasse et frégates lance-missiles. Même si la qualité de l’armement chinois ne peut être comparée aux équipements américains, faire du Pakistan un relais avec Pékin est particulièrement intéressant pour les objectifs des pétromonarchies du golfe Persique, qui questionnent la fiabilité du soutien des États-Unis en matière de sécurité et se cherchent des alternatives régionales.

“L’Arabie saoudite profite en outre du développement des relations entre le Pakistan et la Chine, qui fournit à l’armée pakistanaise tanks, avions de chasse et frégates lance-missiles”

Pour autant, l’engagement mutuel entre le Pakistan et l’Arabie saoudite demeure ambivalent. Certes très proche des pétromonarchies sunnites arabes, le Pakistan n’a jamais rompu ses liens avec l’Iran. De même, si le royaume saoudien a besoin de l’armée pakistanaise, et si son activisme dénote une forme de fébrilité face à un Iran nucléaire qui se rapproche de la Russie, ou face à un État hébreu gouverné par des suprémacistes, son soutien à Islamabad demeure relatif, notamment sur la question du Cachemire, que Riyad a toujours refusé de mettre à l’ordre du jour de l’Organisation de la Coopération islamique. Face aux enjeux géopolitiques, la solidarité islamique a donc ses limites.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 18/01/2023.