Patience et prudence, piliers de la réponse iranienne à l’agressivité américaine

Malgré l’échec de sa résolution visant à prolonger l’embargo sur les armes en Iran, l’administration Trump ne cesse d’accentuer sa « pression maximale » à moins de deux mois de sa fin de mandat. Comme promis, mercredi 19 août, Washington a informé le Conseil de Sécurité de l’ONU de sa volonté d’actionner le mécanisme de « snapback ». Prévue dans le Joint Comprehensive Plan of Action, cette procédure permet à un membre signataire de l’accord de demander le rétablissement de l’ensemble des sanctions préexistantes contre l’Iran, si celui-ci contrevient à ses engagements. Bien que la validité juridique de cette action, et de ce fait son efficacité, soit éminemment contestable – compte tenu du retrait américain en mai 2018 – et contestée par la Russie, la Chine et les Européens, les Etats-Unis semblent néanmoins prêts à mener leur stratégie jusqu’au bout, fût-ce au prix d’une crise diplomatique au sein de l’ONU.

C’est bien plutôt la réponse de l’Iran face à cette surenchère de pression diplomatique qui concentre toute l’attention. On garde en effet en mémoire les multiples menaces de représailles proportionnées, dans le cas où l’ONU réimposerait l’ensemble des sanctions contre Téhéran. En mai dernier, le président Rouhani prévenait ainsi que toute extension de l’embargo sur les armes « ne serait-ce que d’un jour, sous n’importe quel prétexte et par n’importe quel mécanisme », entraînerait de graves conséquences. Depuis mai 2018, celles-ci sont généralement les mêmes et concernent l’accélération du développement nucléaire de l’Iran, notamment l’augmentation à 20% de son enrichissement nucléaire, le seuil nécessaire à l’obtention d’une arme atomique fiable. Afin de sanctionner la démarche américaine, le Parlement iranien, majoritairement conservateur, a ainsi adopté une motion obligeant le régime à renoncer à l’Accord de Vienne dans les 72 heures, si les Nations Unies acceptent l’application de ce mécanisme à la demande de n’importe quel pays signataire.

Autant de déclarations et de positionnements qui ne sont, en vérité, que des actions de communication, car même au sein de l’aile dure du régime, cette initiative laisse sceptique. Ainsi, le quotidien Javan, pourtant sensible aux conservateurs, estime qu’il aurait été plus judicieux de rester dans le cadre de l’accord et de poursuivre l’enrichissement nucléaire, en réponse au non-respect des engagements des autres signataires. En réalité, aujourd’hui, l’approche du pouvoir iranien face à la stratégie américaine semble plus mesurée et pragmatique « dans les intérêts même du régime ».

Dans un contexte international où les Etats-Unis se sont isolés diplomatiquement et rencontrent une forte opposition à leur stratégie iranienne, réformateurs comme conservateurs, dans un rare élan unanimiste, estiment plus prudent d’observer une position attentiste, et de se concentrer sur une situation domestique particulièrement critique. Face à la « pression maximale » exercée sans relâche par les Américains depuis leur retrait de l’accord de Vienne en mai 2018, l’Iran a précisément évité de suivre le même chemin, ce qui aurait entraîné une réimposition immédiate de toutes les sanctions onusiennes. La « résistance héroïque » de l’Iran, essentiellement basée sur l’espoir d’une éventuelle alternance politique aux Etats-Unis u mois de novembre prochain, a certes considérablement usé la société iranienne, mais semble avoir aussi amené les Américains, qui n’ont pas obtenu gain de cause, à se décrédibiliser et à s’isoler de leurs alliés. Dès lors, une réponse excessive de la part de l’Iran, face à une procédure qui n’a que peu de chances d’aboutir, ne ferait en réalité que servir les intérêts américains.

En outre, le temps est désormais du côté des Iraniens : si d’aventure le mécanisme de « snapback » était accepté par l’ONU, ce qui n’a pas été le cas, celui-ci ne serait effectif que trente jours plus tard, laissant tout le loisir à l’Iran d’adopter une autre stratégie. Enfin, à moins de 60 jours de l’élection présidentielle américaine, où le président sortant ne part pas favori dans les sondages, les réformateurs misent plus que jamais sur sa défaite pour sortir le pays de l’asphyxie économique.

En revanche, on aurait tort de penser que cette patience vise in fine une renégociation avantageuse de l’accord de Vienne. Car même si Joe Biden s’est montré favorable à un retour des Etats-Unis dans le cadre du JCPoA, il soutient aussi de nouvelles négociations sur l’influence militaire de l’Iran au Moyen-Orient et sur son programme balistique. Par ailleurs, il apparaît peu probable que le candidat démocrate s’éloigne radicalement de la position israélienne sur la question iranienne, quand bien même chercherait-il à normaliser les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et l’Iran.

A Téhéran, la défiance a désormais largement remplacé la confiance dans ses relations avec l’Occident. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement, lorsque d’un côté les Européens, et notamment la France, défendent un maintien de l’accord de Vienne, et de l’autre rejoignent les Américains sur la nécessité de limiter les ventes d’armes à l’Iran pour assurer la sécurité du Moyen-Orient ? Leur abstention lors du vote de la résolution américaine sur le maintien de l’embargo démontre cette ambiguïté, qui n’a rien de rassurant pour l’Iran, et décrédibilise leur rôle d’honnête courtier.

Les Iraniens se montrent donc bien peu disposés à renégocier un accord mort-né qui n’a jamais tenu ses promesses à leur égard, et préfèrent aujourd’hui chercher d’autres alternatives. Le Lion-Dragon Deal, signé en 2019 avec Pékin, est l’exemple majeur des ratages des Occidentaux avec l’Iran. Si cet accord, qui prévoit près de 400 milliards de dollars d’investissements sur vingt-cinq ans, réduit considérablement la dépendance de Téhéran envers les Européens et les Etats-Unis, il a surtout offert à la Chine une situation inespérée : le contrôle de gigantesques sources d’hydrocarbures débarrassées de toute hégémonie occidentale. L’Occident a clairement manqué l’occasion de normaliser ses relations avec l’Iran, dont le regard se tourne désormais vers l’Asie, et de profiter des opportunités économiques de son énorme marché. Malheureusement, face aux appétits chinois et à la déception iranienne, cette occasion pourrait ne jamais se représenter.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 20/09/2020.

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