Politique et militaire, la symbiose ratée

La semaine qui vient de s’écouler a été l’occasion pour deux grandes puissances militaires de confirmer un changement d’époque. Jeudi à Washington, Joe Biden annonçait que les États-Unis auraient retiré toutes leurs troupes d’Afghanistan le 31 août prochain. Le président américain a rappelé que la première puissance militaire mondiale ne pouvait plus se permettre, pour des raisons géopolitiques mais aussi humaines, de maintenir son engagement dans ce conflit, après deux décennies d’investissements sans commune mesure pour le contribuable américain, des milliers de morts militaires et civils des deux côtés, et surtout un bilan désastreux. Hier encore, l’avancée des talibans dans leur reconquête du pays était jugée “plus rapide que prévu”, témoignant surtout d’un vide stratégique et politique béant qui leur livre de nouveau le pays.

Retrait militaire américain, puis français

Le lendemain, à Paris, Emmanuel Macron présentait à son tour les grandes lignes du retrait des 5 100 soldats français qui opéraient au Sahel depuis 2013, et plus particulièrement au Mali, dans le cadre de l’opération Barkhane. Annoncé pour les prochaines semaines, celui-ci devrait s’étaler dans le temps jusqu’au début de l’année 2022. Et si un retrait total n’est vraisemblablement pas envisagé, il n’en reste pas moins que les effectifs devraient être réduits d’au moins 40 %, laissant entre 2 000 et 3 000 soldats sur place pour “gérer” une zone de trois millions de kilomètres carrés.

“Emmanuel Macron veut encore croire qu’il sera possible de “pacifier” une région de plus en plus menacée par l’avancée djihadiste en recentrant les efforts militaires – et en réduisant les moyens de l’armée. “En même temps”… nous n’en sommes plus à un paradoxe près”

À la différence de Joe Biden, Emmanuel Macron veut encore croire qu’il sera possible de “pacifier” une région de plus en plus menacée par l’avancée djihadiste en recentrant les efforts militaires – et en réduisant les moyens de l’armée. “En même temps”… nous n’en sommes plus à un paradoxe près.

Le 1er régiment de hussards parachutistes, de Valmy au Mali

Hasard du calendrier, ce week-end voyait également le 1er régiment de hussards parachutistes, installé à Tarbes, fêter ses 300 ans d’existence. Son histoire est peu commune, puisqu’il fut fondé à Constantinople le 27 juillet 1720 par le comte hongrois Ladislas de Bercheny, patriote alors en exil, qui décida de mettre ce régiment, qui fut d’abord de cavalerie légère, au service du roi de France Louis XV. Ce régiment cosmopolite mais français, où les ordres étaient d’abord donnés en allemand, fut de toutes les batailles marquantes de notre pays à dater de la Révolution : Valmy et Jemmapes en 1792, grandes campagnes napoléoniennes depuis celle, victorieuse, d’Italie en 1797, ou encore celle de Prusse en 1806 marquée par les batailles d’Iéna, de Friedland, et celle d’Eylau, victoire à la Pyrrhus où le régiment de hussards participe, selon la légende napoléonienne, à l’une des plus grandes charges de cavalerie de l’Histoire, menée par Murat et réunissant 12 000 hommes.

“Le 1er régiment de hussards parachutistes, cosmopolite mais français, où les ordres étaient d’abord donnés en allemand, fut de toutes les batailles marquantes de notre pays à dater de la Révolution”

Évoluant naturellement au gré des perfectionnements militaires, le 1er régiment de hussards est passé des cavaliers aux parachutistes en 1946, mais continue de remplir toutes les missions d’un régiment de cavalerie légère avec une abnégation totale : reconnaissance au contact, intervention antichar, sûreté des arrières ou des flancs. Il est le seul régiment blindé de la 11e brigade parachutiste de l’Armée de terre française et de ce fait, a participé à toutes les opérations extérieures militaires françaises des quarante dernières années. Du Liban à l’ex-Yougoslavie, en passant par l’Afghanistan dès 2003 et les multiples missions en Afrique de l’Ouest ou dans le Sahel, le régiment est reconnu pour son expertise sur les terrains d’opération les plus sensibles. À ce titre, il a été précisément l’un des deux régiments français déployés dans le cadre de l’opération Barkhane. La dernière opération menée au Mali par près de 600 parachutistes remonte ainsi à moins d’un an, à l’automne 2020.

Absence de réflexion politique

Que nous rappelle cette histoire si particulière au sein de l’armée française ? D’abord, l’importance du travail symbiotique entre le politique et le militaire, le second restant au service du premier, du bien commun et de la sécurité nationale. À cet égard, les décisions des présidents américains et français nous obligent à quelques réflexions. Aux États-Unis comme en France, les annonces des retraits de conflits militaires complexes et malheureusement emprunts d’échec, ont naturellement été accueillies par les familles de militaires avec un immense soulagement. En septembre dernier, le 1er régiment de hussards parachutistes avait d’ailleurs perdu deux des siens au Mali. Et que dire des milliers de soldats américains morts en Afghanistan en vingt ans, sans que le conflit ait été résolu pour autant ?

“Comme l’a souligné récemment dans la presse le général Didier Castres, qui dirigeait l’opération Serval, puis Barkhane lors de son lancement, “seuls, les militaires ne règlent rien”

Mais comme l’a souligné récemment dans la presse le général Didier Castres, qui dirigeait l’opération Serval, puis Barkhane lors de son lancement, “seuls, les militaires ne règlent rien”. L’intervention du politique reste indispensable pour anticiper, élaborer, reconstruire, en complément de l’intervention militaire. Dans le cas de l’Afghanistan, dans le cas du Mali, l’absence de véritable réflexion politique n’a pu qu’être amèrement constatée, laissant in fine la lourde tâche aux seules forces armées de pallier cette défaillance. Or, la réflexion politique se doit d’être à même de proposer un but précis pour atteindre la sortie de crise, et d’en fournir les moyens. Au Sahel comme en Afghanistan, les retraits des Occidentaux laissent malheureusement une situation chaotique qui ne fait pas justice au sacrifice des soldats engagés, permettant dans les deux cas une avancée de mouvements islamistes plus menaçante que jamais.

De l’honneur d’être Français

L’histoire du 1er régiment de hussards parachutistes nous rappelle enfin l’importance de la notion d’engagement et d’exemplarité. Elle peut trouver aisément un écho chez tous ceux qui sont arrivés en France depuis l’étranger pour y démarrer une nouvelle vie, qui ont pu bénéficier des possibilités offertes par leur pays d’accueil, et qui en guise de reconnaissance pour tous ses bienfaits, ont tenu à lui témoigner leur gratitude par une modeste contribution, qu’elle soit d’ordre professionnel, militaire, moral ou intellectuel.

“La devise du régiment devrait d’ailleurs résonner tout particulièrement pour nous tous, issus ou non de l’immigration : “Quand tu as tout perdu, souviens-toi qu’il te reste l’honneur”

Cette histoire nous rappelle qu’être citoyen français, c’est certes avoir des droits, mais aussi des devoirs, que l’on soit civil ou militaire. La devise du régiment devrait d’ailleurs résonner tout particulièrement pour nous tous, issus ou non de l’immigration : “Quand tu as tout perdu, souviens-toi qu’il te reste l’honneur”. L’honneur d’être Français.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 14/07/2021.