Nucléaire iranien : le mauvais calcul des conservateurs

Les négociations sur le dossier nucléaire entre l’Iran et les Occidentaux se trouveraient-elles encore une fois dans l’impasse ? Alors que les dernières semaines après l’élection d’Ebrahim Raeissi laissaient penser qu’il était dans l’intérêt de tous, et surtout de la République islamique, d’obtenir un une levée rapide des sanctions économiques, alors que le nouveau président avait confirmé son intention d’obtenir un nouvel accord conformément au souhait du Guide Suprême Ali Khamenei… il semblerait aujourd’hui que ces engagements soient déjà caducs. Selon toute vraisemblance, aucun accord ne verra le jour avant l’installation officielle de la nouvelle administration iranienne, qui aura lieu le mois prochain, et d’ici cette échéance, Téhéran ne se conformera pas aux termes initiaux du JCPoA.

Ce revirement stratégique peut paraître surprenant. Le Guide Suprême, avant tout préoccupé de libérer l’économie iranienne d’une asphyxie qui dure depuis trois ans, souhaitait en effet qu’un accord soit signé avant que l’administration Rohani ne quitte ses fonctions pour deux raisons : la première, afin de refermer définitivement la page de cette épisode de sanctions ; la seconde, afin d’assurer qu’en cas d’échec dans la mise en œuvre d’un nouvel accord, ou de compromis désavantageux pour l’Iran, le blâme ne retombe pas sur son protégé et potentiel successeur, Ebrahim Raeissi, mais sur le président sortant.

 Or, plus le temps passe, moins l’obtention de cet hypothétique accord gagne en facilité, voire en probabilité ; et plus le temps passe, plus Téhéran n’a plus aucun intérêt à se conformer aux termes du JCPoA, tant ses conditions sont devenues inadaptées au contexte actuel.

En effet, la sortie unilatérale des Etats-Unis de l’accord de Vienne de 2015 aura finalement permis à l’Iran de se dégager de ses propres promesses et de reprendre sa progression technologique en toute impunité, en faisant même une priorité nationale. Aujourd’hui, ayant développé considérablement son enrichissement nucléaire, la République islamique a réduit d’autant le délai nécessaire pour se doter d’une bombe atomique – on l’estime ainsi à quelques mois à peine grâce aux nouvelles centrifugeuses IR-9. Considérant cette avancée comme un argument de poids pouvant forcer les Américains à accepter un compromis qui ne leur est pas nécessairement favorable, le régime a préféré changer de stratégie et opter pour la pression à l’encontre des Occidentaux – en augmentant inexorablement l’enrichissement d’uranium, en bloquant à loisir l’accès de ses sites nucléaires aux inspecteurs de l’AIEA – car il estime, dans le fond, que la levée des sanctions ne constitue plus une urgence, même s’il persiste à la réclamer ne serait-ce que pour satisfaire la population iranienne exsangue. La future administration Raeissi parie enfin sur le fait que l’Iran sera capable de se doter d’une force de frappe nucléaire avant que les Occidentaux ne puissent limiter ses ambitions par la voie de nouvelles sanctions.

C’est là néanmoins un calcul très hasardeux de la part des conservateurs, qui condamne déjà tout accord éventuel.

Les Etats-Unis sont en effet déjà très réticents à faire de nouveaux compromis avec Téhéran. Joe Biden, très sollicité sur le plan domestique par ses projets d’infrastructures et le vote des budgets afférents, régulièrement attaqué par les Républicains et certains Démocrates sur sa position vis-à-vis de l’Iran, n’a aucun intérêt à céder à la pression de la République islamique, dans un contexte international qui voit déjà les Américains acter leur échec en Afghanistan avec le retrait de leurs troupes d’ici le 31 août. Le président démocrate ne peut donc pas se permettre de donner une nouvelle preuve de faiblesse face à un allié de la Chine et de la Russie. Par ailleurs, il lui sera politiquement impossible de lever les quelque 700 sanctions imposées à de nombreuses personnalités iraniennes – à commencer par le nouveau président élu, compromis par son lourd passé à la tête de l’institution judiciaire du pays – ce qui est pourtant l’une des nombreuses demandes de la République islamique. Le refus réitéré de l’administration Biden sur ce point ne sera qu’un point de blocage de plus dans les négociations, qui décidément semblent bien mal en point.

Parier sur ses progrès technologiques et choisir la stratégie de la provocation semble enfin aller à l’encontre des intérêts immédiats de la République islamique, qui aurait tout à gagner à obtenir une levée rapide des sanctions économiques afin de lancer le mandat de Raeissi sous de bons auspices, et d’apaiser une population au bord d’un mouvement social de grande ampleur. Or, faute d’un nouvel accord signé, ces sanctions ne seront pas suspendues, et d’autres pourraient s’y ajouter : les progrès technologiques de l’Iran et ses relations de plus en plus conflictuelles avec l’AIEA risquent en effet d’obliger les inspecteurs à porter le sujet devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, avec la possibilité d’un éventuel retour de sanctions onusiennes, annulant ainsi tous les efforts diplomatiques entrepris depuis le mois d’avril à Vienne. N’est-ce pas là un grand risque pour un régime déjà fragilisé, constamment menacé par des Iraniens épuisés, victimes d’une cinquième vague de la pandémie de Covid-19 et d’une pénurie de vaccins telle qu’ils se trouvent obligés de se rendre en Arménie pour se faire vacciner ?

Le choix, décidément récurrent, de la stratégie belliciste au détriment de la solution de l’apaisement et de la reconstruction, démontre que le message envoyé par le taux d’abstention record enregistré lors du dernier scrutin présidentiel est loin d’avoir été entendu et compris par la République islamique, incapable de se réinventer et de sortir de sa logique idéologique. Maintes fois annoncée, sa chute sera néanmoins inévitable à terme si cet entêtement persiste.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 18/07/2021.