Assassinat du scientifique iranien, piège de dernière heure tendue à Téhéran

En criminologie, c’est un principe établi de longue date qu’en matière de crime, pour identifier le coupable, il convient d’identifier la personne à qui profite le crime. Ainsi, il ne fait guère de doute que le récent assassinat d’un scientifique iranien, qualifié d’Oppenheimer iranien, d’après le créateur de la bombe nucléaire américaine, est à attribuer à Israël, comme d’ailleurs d’autres assassinats de scientifiques iraniens, ces douze dernières années. Sans grand étonnement d’ailleurs, cet assassinat que même les grands ténors du renseignement américain, comme l’ancien directeur de la CIA John Brennan, n’hésitent pas à qualifier de terrorisme d’Etat qui bafoue le droit international, intervient à peine deux semaines après que le président sortant Donald Trump ait été dissuadé in extremis de bombarder les installations nucléaires iraniennes. Sans surprise non plus que l’assassinat se réalise à à peine quelques jours du déplacement du Secrétaire d’Etat américain en Israël et en Arabie Saoudite où Netanyahu l’a rejoint accompagné par le directeur du Mossad.

Incontestablement, le meurtre de ce scientifique est une lourde perte pour le programme nucléaire iranien. Mais au-delà de l’aspect militaire, son assassinat met en grand danger la politique moyen-orientale du nouveau Président-élu Joe Biden. En effet, ce dernier même s’il ne peut être considéré comme un grand ami de l‘Iran, et c’est un euphémisme, n’a pas caché néanmoins sa volonté de faire réintégrer les Etats-Unis dans l’accord nucléaire iranien du 14 juillet 2015. Il reprend ainsi le pari qu’avait fait l’ancien Président Obama de faire revenir l’Iran dans le système financier international et de la sorte encourager un changement de comportement de ce pays dans la région. Il est vrai qu’un retour pur et simple des Etats-Unis dans cet accord ne saurait être envisager en l‘absence de gestes de la part de l’Iran notamment en se mettant en conformité avec ses engagements au titre de ce même accord.

Quoi qu’il en soit, aux yeux des Israéliens, cet assassinat vise deux objectifs. D’abord, ils veulent retarder ou porter un coup certain au programme nucléaire iranien même s’il est avéré que ni les assassinats d’autres scientifiques cette dernière décennie ni  les cyberattaques comme Stuxnet n’ont pas pu y mettre un terme définitif. Ensuite, ils espérent une réaction de l’Iran ou des éléments incontrôlés du pouvoir iranien par des mesures de rétorsion qui immanquablement fourniraient le prétexte recherché par Washington de surenchérir par des frappes massives sur les sites nucléaires iraniens et ce dans les derniers mois restant de l’administration Trump. De la sorte, toute initiative diplomatique serait prise en otage faute d’interlocuteur en Iran. D’ores et déjà les voix s’élèvent en Iran pour des représailles alors que la stratégie de Téhéran, ces derniers mois, avait été de faire le dos rond dans l’attente de l’inauguration d’un nouveau président américain, Ceci explique l’absence de réaction véritables face aux provocations subies en 2020. L’assassinat du Général Soleimani n’a donné lieu qu’à des frappes contre les bases américaines en Iraq avec information préalable de ces derniers de les évacuer. L’incendie du site des centrifugeuses de Natanz en juillet dernier, attribué aux israéliens n’a pas fait l’objet de représailles non plus.

L’avenir du dialogue irano-américain dépendra donc de la capacité des iraniens à restreindre leurs réactions face à cet assassinat. S’ils arrivaient à se contrôler ainsi que leurs proxys au Moyen-Orient, il y aura un espoir d’un déblocage avec Washington. Dans le cas contraire, la stratégie de provocation menée par Israël portera ses fruits et le dossier iranien sera gelé pour de longues années. En tout état de cause, les astres ne sont pas alignés sous des auspices favorables pour l’Iran. En effet, l’arrivée de la prochaine administration démocrate sera suivie, un mois plus tard en février 2021, par l‘arrivée d’une nouvelle administration iranienne probablement dominée par des conservateurs hostiles au dialogue avec Washington. Par ailleurs, Donald Trump en ayant recours à des sanctions à l’encontre de l’Iran a davantage compliqué la diplomatie future. En effet, ces dernières sanctions frappent l’Iran pour un soutien allégué au terrorisme ou pour des considérations de droits de l’homme, ce qui empêche leurs levées par décret présidentiel et nécessite un vote du Congrès. Avec l’incertitude qui pèse sur le contrôle du Sénat qui se jouera au sein de l’Etat de Géorgie en janvier 2021 il n’est pas certain que les démocrates remportent la majorité au Sénat dont le contrôle s’avèrera indispensable si l’administration Biden espère renverser la politique étrangère de Donald Trump.

C’est dire que ce n’est pas gagné !

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 29/11/2020.

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