Coronavirus, le moment Tchernobyl du pouvoir iranien

Déjà marqué par les difficultés politiques et économiques, l’Iran doit désormais faire face à l’épidémie de coronavirus qui se propage inexorablement à travers le monde. Dimanche, le ministère iranien de la Santé confirmait le décès de 11 personnes infectées, portant le bilan à 54 morts. C’est le taux de mortalité au virus le plus lourd après celui de la Chine, d’où l’épidémie est partie. A ce jour, on compte 978 cas de personnes infectées en Iran, pays fort de 83 millions d’habitants et d’une position géographique centrale, ce qui en fait une source d’inquiétude pour tout le Moyen-Orient.

De nombreux cas d’infection concernent des personnalités publiques de premier plan. Ainsi, le vice-ministre de la Santé, Iraj Harirchi, a confirmé qu’il avait été infecté par le virus et placé en quarantaine, au lendemain d’une conférence de presse où il avait déclaré que les autorités maîtrisaient sa propagation. Jeudi dernier, c’était la vice-présidente Masoumeh Ebtekar – la célèbre porte-parole des étudiants qui avaient pris 52 Américains en otages en 1979 – qui avait confirmé sa contamination, de même que deux députés et le président de la commission parlementaire à la sécurité nationale et à la politique étrangère. L’ancien ambassadeur de la République islamique au Vatican, âgé de 81 ans, est mort également des suites de l’infection, tout comme Elham Sheikhi, joueuse de l’équipe nationale de football féminin, à l’âge de 22 ans.

En trois jours, entre vendredi et dimanche, le nombre de cas relevés a considérablement augmenté, passant de 388 cas et 34 morts à 978 cas et 54 morts. Mais ces chiffres pourraient être largement sous-estimés. Certains rapports non officiels avancent jusqu’à 200 morts, comme le rapporte le service persan de la BBC. Selon de nombreux experts, le rapport entre le taux de mortalité et le nombre de cas déclarés confirmerait cette hypothèse : avec un taux de mortalité ne serait-ce que de 1% – celui de la Chine, qui accuse le plus grand nombre de cas et de décès, est de 3% – le nombre réel de cas devrait se situer entre 300 et plusieurs dizaines de milliers, voire jusqu’à 20 000. Il n’en reste pas moins vrai que le mode de contamination et les particularités symptomatiques du coronavirus rendent sa détection en amont très difficile.

Tout porte à croire que l’épidémie s’est d’abord manifestée dans la ville sainte de Qom, haut lieu d’étude du chiisme et lieu de pèlerinage, notamment au sanctuaire Fatima Masumeh. L’une des deux premières personnes décédées le 19 février dernier était un marchand revenu à Qom après un voyage à Wuhan en Chine, premier foyer de la maladie. Les autorités estiment que le coronavirus serait apparu sur le territoire iranien trois à six semaines avant ces décès, un délai largement suffisant pour une propagation à travers le pays. Huit jours après ces premiers cas, 24 des 31 provinces de l’Iran étaient touchées par l’infection.

Pourquoi l’épidémie s’est-elle répandue si rapidement dans un pays célèbre pour la compétence de ses médecins, fait reconnu depuis la plus haute Antiquité ? Sans doute pour des raisons strictement politiques, couplées à une possible sous-estimation des risques de propagation du virus par le régime.

Ainsi, contrairement à la plupart des pays touchés par l’épidémie, qui ont rapidement mis en place une série de mesures de sécurisation de l’espace public – fermeture des lieux de rassemblement, mise en quarantaine des personnes infectées- les autorités n’ont pas interdit la venue de pèlerins à Qom, vantée comme un lieu de guérison par le clergé chiite. Or, de nombreux cas ont été détectés en Azerbaïdjan, en Afghanistan, au Bahreïn, en Géorgie, au Koweït, au Liban, à Oman et aux Emirats Arabes Unis, jusqu’au Pakistan et même au Canada, à la suite d’un voyage à Qom.

Une telle inconséquence surprend moins lorsqu’on se souvient que le mois de février 2020 était chargé en évènements politiques cruciaux pour la popularité du régime, déjà en situation de grande fébrilité depuis l’automne dernier. Le 11 février célébrait le 41ème anniversaire de la Révolution islamique, tandis que dix jours plus tard se tenaient les élections législatives. Alors que le taux d’abstention promettait d’être le plus important depuis quarante ans, les autorités ont sans doute jugé plus « prudent » de garder le silence sur la réalité de l’épidémie, et ainsi éviter que des électeurs supplémentaires ne boudent les urnes. Mieux, le Guide Suprême Ali Khamenei n’a pas hésité à accuser « les ennemis de l’Iran » – en clair, les Etats-Unis – d’avoir tout fait pour exagérer l’ampleur de la pandémie et ainsi pousser les Iraniens à ne pas aller voter.

Au mépris de l’urgence et des risques sanitaires qu’il représente, le coronavirus est désormais un instrument politique de plus dans la guerre idéologique qui oppose la République islamique aux Etats-Unis, trop heureux de souligner que le régime semble avoir de nouveau menti à la population iranienne dans l’unique but de se préserver. Pourtant, cette épidémie ne pouvait pas plus mal tomber pour l’Iran, déjà exsangue sous l’effet de la « pression maximale » de Donald Trump, avec une contraction de son économie de 9% en 2019. Depuis que l’épidémie de coronavirus s’est déclarée dans le pays, onze nations, dont l’Afghanistan, la Turquie et l’Irak, principaux partenaires économiques de l’Iran dans la région, ont fermé leurs frontières aux ressortissants iraniens. Quant à la Chine, qui représente un quart de tout le commerce extérieur du pays, elle risque bien entendu de ralentir fortement ses échanges. Autant de décisions qui impacteront encore gravement l’économie iranienne, mais également celle du Moyen-Orient et de ses pays exportateurs de pétrole, qui devront brader leurs prix pour faire face à la baisse de la demande chinoise.

Très conscient des enjeux, Donald Trump a d’ores et déjà proposé l’aide américaine pour enrayer la propagation du virus… à condition que les Iraniens la lui demandent. Cette offre ne manquera certainement pas d’être considérée comme une insulte de plus par Téhéran. Néanmoins, ce n’est que depuis la semaine dernière que les autorités iraniennes ont pris les premières mesures sanitaires : désinfections à grande échelle, notamment dans le métro de Téhéran, fermeture des écoles, universités et centres culturels dans près de douze provinces, report des évènements culturels ou sportifs rassemblant des foules, et même des prières hebdomadaires du vendredi dans les 24 provinces où le virus a été détecté. Même si les Iraniens réagissent pour l’instant avec humour à ces mesures de précaution, notamment en parodiant l’interdiction de se serrer la main sur les réseaux sociaux, le risque est grand pour le régime de les voir de nouveau descendre dans la rue pour dénoncer son manque de réactivité et ses omissions, surtout à l’approche des fêtes de Norouz, le nouvel an iranien, qui aura lieu le 20 mars. A ce titre, les déclarations du président Rohani, exhortant ses compatriotes à poursuivre leurs activités quotidiennes comme si de rien n’était, auront sans doute du mal à toucher l’opinion. Cette épidémie peut représenter le moment Tchernobyl du pouvoir iranien !

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 04/03/2020.

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