Haut-Karabakh, le conflit n’est pas fini

Le Haut-Karabakh, rocher de Sisyphe du Caucase

L’Arménie, pays meurtri par la défaite militaire récente dans le Haut-Karabakh, souffre de graves tensions dont le peuple chrétien, réclame depuis quelques jours le départ du Premier ministre en exercice.

Retour sur un conflit interminable au bilan lourd

Le Haut-Karabakh, enclave arménienne en territoire azéri, habitée par 150 000 habitants exclusivement arméniens s’étend sur 4400 km2 dans le sud-est du Petit Caucase. Alors que cette région a souhaité obtenir son indépendance voire son rattachement à l’Arménie, l’Azerbaïdjan a toujours considéré ce territoire comme partie intégrante de son territoire depuis la chute de l’empire soviétique en 1991 alors que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont toutes deux d’anciennes républiques soviétiques. De cette dissension territoriale a débouché des conflits à répétition entre ces deux pays. Tout d’abord entre 1988 et 1994, le conflit a débouché sur une victoire des arméniens du Haut-Karabakh, qui se sont emparés de cette région, avec l’aide de l’Arménie, au nom du miatsum (« unification ») mais au prix d’une guerre coûtant la vie de 30 000 personnes. Avec le couloir de Latchin, une continuité territoriale du Haut-Karabakh avec l’Arménie a vu le jour. Après l’échec du processus de paix initié par le groupe de Minsk (France, Russie, États-Unis), la guerre des quatre jours en 2016 a abouti à une instabilité profonde dans cette région. En septembre 2020, les choses s’accélèrent lorsque les troupes de l’Azerbaïdjan, avec le soutien militaire de la Turquie et d’Israël, attaquent les défenses arméniennes. Malgré la grande efficacité et la technicité de l’armée arménienne, la manne pétrolière de l’Azerbaïdjan ainsi que le soutien turc et israélien ont eu raison de la résistance des troupes arméniennes. En effet, entre 2016 et 2020, la Turquie a fait profiter de son expérience acquise contre le terrorisme en Syrie en fournissant du matériel de pointe (drones d’attaque, avions de combat, systèmes de défense anti-aérien), et a envoyé des mercenaires syriens et libyens dans la zone disputée. L’Arménie a en outres souffert d’un équipement suranné datant de l’époque soviétique, de l’absence de soutien aérien et de l’incapacité à résister aux systèmes de brouillage électroniques de son ennemi azerbaïdjanais. Cette deuxième guerre du Haut-Karabakh a mis le pays à feu et à sang. Le bilan de cette blitzkrieg de 44 jours est colossal : plus de 6000 morts des deux côtés. Le bilan du conflit depuis l’indépendance des deux pays représente 36 000 morts et 1 million de personnes déplacées. Face à cette débâcle, l’Arménie signe le cessez-le-feu demandé par la Russie en novembre 2020, actant ainsi la défaite officielle du pays. L’accord de paix parrainé par le Kremlin prévoit en outre la rétrocession des régions occupées depuis 1994 par l’Arménie à l’Azerbaïdjan, laissant aux arméniens qu’environ un quart du territoire de c qui fut la République du Haut Karabakh.

L’Azerbaïdjan et la Russie, grands vainqueurs du conflit

L’Azerbaïdjan et la Russie sont sans conteste les grands vainqueurs de cette guerre puisque Bakou a retrouvé la quasi-intégralité des territoires du Haut-Karabakh et Moscou son pouvoir sur le Caucase. En gérant ce conflit et malgré une prise de position pro-Arménie, la Russie s’est assurée de contrer les ambitions hégémoniques de l’Iran et de la Turquie dans cette zone en imposant son propre eurasianisme. L’Iran a soutenu la Turquie en sous-main dans le but de conserver son allié dans sa lutte personnelle contre l’embargo américain qui asphyxiait l’économie iranienne. La Turquie a vu son soutien récompensé avec la construction d’un corridor entre l’Azerbaïdjan et la Turquie, reliant les deux pays pour la première fois. A peine les territoires récupérés que l’Azerbaïdjan a lancé de grands chantiers tels qu’un aéroport, une autoroute et voie ferrée pour connecter la ville de Choucha au pays, en parallèle des opérations de déminages d’artillerie non explosée qui devraient durer une dizaine d’années. Outre les dégâts de la guerre et les risques de déminage, les dégâts environnementaux sont également à déplorer en raison de l’utilisation de bombes au phosphore qui provoquent des blessures difficiles à soigner chez les humains et un dommage à long terme pour l’environnement. A Stepanakert par exemple, les forêts et les nappes phréatiques qui ont été contaminées ne permettent plus aux habitants et à la faune de la zone de s’approvisionner. Les fragments de phosphore dans le sol qui seront retournés lors des opérations de déminage se libéreront dans l’air et le contaminera.

Le Premier Ministre arménien dans le collimateur

La situation politique en Arménie est électrique depuis quelques jours. Après avoir été porté aux nues par le peuple arménien lors de sa prise de poste en 2018, dans un contexte de « révolution de velours » ayant pour finalité de nettoyer la corruption des élites politiques, le vent semble avoir tourné pour le Premier Ministre arménien, Nikol Pachinian. Depuis quelques jours, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues en réclamant le départ de ce dernier (le président Armen Sarkissian ayant une fonction essentiellement honorifique) en raison de la défaite subie par l’Arménie, officialisée depuis novembre dernier. Au mois de novembre, l’armée avait sommé le chef du gouvernement d’accepter les conditions du cessez-le-feu négocié par Vladimir Poutine même si l’accord impliquait la perte de grandes zones territoriales. Cette capitulation avait entrainé des manifestations parmi l’opposition, qui a été réprimée par la police. Mais alors que l’armée soutenait jusque-là le chef du gouvernement, celle-ci fait volte-face lorsque le Premier ministre arménien a limogé Tigran Khatchatrian, l’adjoint du chef d’état-major de l’armée pour s’être moqué de celui-ci après qu’il ait soutenu que les lance-missiles Iskander « n’explosaient que dans 10% des cas ». L’armée, aux côtés de l’opposition, demande au Premier Ministre de quitter son poste afin d’éviter une guerre civile. Le principal concerné, Nikol Pachinian a immédiatement dénoncé une « tentative de coup d’état militaire » et a lancé un appel à ses partisans afin de contre-manifester. 20 000 se sont réunis et ont affronté les autres milliers de manifestants qui ont érigé des barricades, dormi dans des tentes et bloqué dans les rues autour du Parlement arménien en guise de résistance, dans l’attente de la démission du chef du gouvernement. Face à la cristallisation des tensions à Erevan, capitale de l’Arménie, Ned Price, porte-parole de la diplomatie américaine a appelé les forces armées à ne pas intervenir dans les affaires politiques du pays alors que le Kremlin, « préoccupé » par la situation en Arménie, a également appelé au calme. La Turquie, quant à elle, a vivement condamné la tentative de putsch.

Alors que les tensions politiques et diplomatiques se renforcent, la question du retour des populations azéries déplacées se pose. Il semble toutefois probable que ces populations doivent attendre la fin des opérations de déminage ce qui devrait représenter plusieurs mois de travail. Pour assurer une relative stabilité dans la zone, 2000 soldats russes resteront en position durant 5 ans.

Ce qui est certain en revanche, ce que le conflit est loin d’être terminé.

Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 02/03/2021.