Jordanie – Israël : les points noirs de la rancœur

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a annulé sa visite officielle à Abu Dhabi, capitale des Émirats Arabes Unis, prévue le 11 mars dernier en raison d’un désaccord avec la Jordanie.

Une rencontre symbolique

Après un report début février de sa visite, en raison des restrictions de voyage liées à la pandémie, une nouvelle visite avait été programmée entre Abu Dhabi et Jérusalem, avant que son annulation n’ait été rendue officielle. Du côté israélien, on invoque un différend avec la Jordanie sur « les dispositions de sécurité et de sûreté du site ». Plus précisément, la Jordanie se serait opposée au franchissement de son espace aérien par Benjamin Netanyahu, en route vers les Émirats Arabes Unis, avant de finalement donner son autorisation. Mais l’équipe du Premier ministre avait déjà annoncé avoir reporté le voyage jusqu’à nouvel ordre. Du côté jordanien en revanche, une autre raison est évoquée pour expliquer la consolidation de la tension diplomatique entre Amman et Jérusalem. Ayman Safadi, le ministre jordanien des affaires étrangères, en visite à Paris le jeudi 11 mars a expliqué qu’Israël avait poussé le prince héritier Hussein bin Abdullah de Jordanie à annuler la visite de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem-Est, programmée juste avant la visite de Benjamin Netanyahu en Jordanie. La sécurité du prince aurait été plus armée que prévu par l’accord encadrant ce voyage ce qui aurait mené le service de sécurité israélien à bloquer l’entrée de la sécurité du prince. Le ministre n’a toutefois pas commenté les faits autour de l’espace aérien jordanien. Cette deuxième visite qui a été annulée avait pourtant une véritable symbolique. En effet, cela aurait été la première visite officielle d’un dirigeant israélien aux Émirats arabes unis après l’accord de normalisation conclu au mois de septembre entre les Émirats et Israël sous l’égide de l’ancien président américain Donald Trump, considéré par la Palestine comme une trahison de la part des pays du Golfe Persique. Notons que la visite officielle annulée était planifiée également juste avant un moment fort pour les israéliens qui s’apprêtent à voter le 23 mars prochain dans le cadre de leurs élections législatives. L’actuel Premier ministre, à la tête du parti de droite le Likoud, en tête des intentions de vote aurait ainsi voulu s’appuyer sur cette rencontre officielle avant que les élections ne soient lancées. Pour ne pas perdre la face malgré cet événement, Benjamin Netanyahu a déclaré qu’il rencontrerait bientôt le prince héritier d’Abu Dhabi après avoir discuté avec lui de la reprogrammation du voyage. Il a également précisé que les Émirats s’étaient engagés à investir 10 milliards de dollars (environ 8 milliards d’euros) à travers la création d’un fonds d’investissement émirati dans des projets liés à des secteurs stratégiques en Israël tels que la production d’énergie, d’eau, la santé, l’agro-technologie et l’espace.

La dégradation progressive des relations entre le royaume hachémite et l’État hébreu

Bien que la Jordanie ait conclu le traité de paix de Wadi Araba avec Israël en 1994, que les liens commerciaux et stratégiques entre les deux pays se soient intensifiés au cours des dernières années, et malgré les accords entre les pays du Golfe Persique et Israël, certains points noirs ont peu à peu cristalliser une certaine rancœur. En effet, des évènements tels que le meurtre non élucidé d’un juge jordanien en 2014 à un poste frontalier israélien ainsi que la mort de deux jordaniens, tués par un agent de sécurité israélien en 2017, ont indéniablement aggravé les tensions et ce malgré la compensation financière par Israël et la réouverture de leur ambassade. Par ailleurs, malgré un engagement en 2013, l’abandon par Israël du « Red Sea-Dead Sea Conveyance », projet d’acheminement d’eau de la mer Rouge vers la mer Morte, en invoquant sa non-rentabilité, a également refroidi Amman car ce projet de coopération régionale permettrait de fournir de l’eau potable dessalée à la Cisjordanie et à la région d’Aqaba et a potentiellement mis un terme à d’autres projets rentables tels que le Jordan Gateway. D’autres points de frictions récents tels que la construction d’un aéroport à proximité de l’aéroport international Roi Hussein de Jordanie et le projet d’annexion de la vallée du Jourdain et des enclaves en Cisjordanie, ont encore plus attisé le courroux des jordaniens. Benny Gantz, ministre de la défense israélien considère que cette dégradation des relations est « l’échec du gouvernement Netanyahu ». Néanmoins, quel que soit le responsable de l’altération des relations, celle-ci demeure une source d’inquiétude et notamment des États-Unis car la Jordanie est un allié stratégique important au Moyen-Orient que ni Jérusalem ni Washington peuvent se permettre de perdre.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 18/03/2021.