La crise des sous-marins, une débâcle mais aussi une chance pour la France

Beaucoup d’encre a coulé sur l’affaire dite des sous-marins depuis que le 15 septembre dernier l’Australie a annoncé à la France, sans aucune information ni indication préalable, la mise en place d’un nouveau partenariat stratégique avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni avec comme conséquence inéluctable l’annulation pur et simple d’un contrat de plus de 56 milliards d’euros pour la fourniture par la France de douze sous-marins conventionnels. Bien entendu, cette annulation ne manquera pas d’entacher, pour les années à venir, les relations entre la France et le monde anglophone en général, en ce y compris l’Inde. Cependant, malgré l’irruption médiatique autour de cette affaire et la rhétorique de vierge effarouchée déployée par le quai d’Orsay, bien mal placé par ailleurs à crier au loup alors qu’il a lui-même bafoué sa propre signature dans l’affaire des Mistrals où la France a renié son engagement de livrer deux porte hélicoptères à la Russie, quatre constats importants sont  à prendre en compte.

Dans un premier temps,  on pourrait insister sur le danger qui pèse sur les autres contrats d’armement en cours, et en particulier celui des rafales avec l’Indonésie. La France, à travers cette fâcheuse affaire, a découvert la triste réalité que le multilatéralisme proclamé par l’administration Biden n’était que de la poudre aux yeux et que la devise « America First » de Trump avait toujours toute sa pertinence à Washington. Ainsi, alors que les Américains identifient, et ce aujourd’hui encore plus qu’hier, la Chine comme leur principal concurrent économique et militaire, Washington risque de revenir sur ces décisions antérieures. Rappelons que le choix du Rafale par l’Indonésie n’a été qu’un second choix de remplacement pour Djakarta après le refus des Américains de leur vendre le fleuron de leur aviation militaire qu’est le F35. La nouvelle donne que représente l’annulation des contrats de sous-marins français risque de n’être qu’un signe annonciateur d’autres annulations à venir. Après tout, l’Indonésie, à l’instar de l’Australie est également menacée par la nouvelle hyper puissance de plus en plus assumée des Chinois. Le raisonnement qui a prévalu pour l’Australie du coté de Washington peut trouver aussi application sur la question des ventes d’armes à l’Indonésie. Pour Biden, la lutte contre la menace que représente la Chine pour le positionnement américain autorise cette stratégie de containment dans la zone Indo-Pacifique, ainsi que le renforcement de l’armement des pays alliés qui y sont directement confrontés. Washington peut donc revenir sur sa décision de refus de vendre des F35 à l’Indonésie et donc entrainer la remise en question du contrat des Rafales par Djakarta

Ensuite, cette affaire est une aubaine pour le Royaume-Uni qui, à peine sorti de l’Union européenne, loin d’un isolement espéré par Paris, se trouve sacré comme partenaire privilégié des américains comme garant de la sécurité dans le pacifique. Londres renoue ainsi avec son passé impérial et devient un acteur majeur de la sécurité asiatique et ce au détriment des intérêts et du prestige militaire de la France. Le Royaume-Uni de la Commonwealth, seul allié européen des Etats-Unis, se permettra de rappeler au Monde que l’adage historique de « Britania rules the Waves » n’est pas dénué de sens aujourd’hui. Ceci est tellement vrai que la France offusquée n’a pas rappelé son ambassadeur à Londres comme si par ce geste symbolique Paris voulait réduire le rôle des anglais dans cette nouvelle alliance. Ce témoignage d’agacement en réalité est inversement proportionnel à la frustration française.

Troisièmement, cette affaire sonne le glas du traité de non-prolifération nucléaire. En effet, Washington ne peut que difficilement soutenir son attachement à la non-prolifération nucléaire alors qu’elle vient de bafouer ses dispositions en armant un pays non nucléaire, en l’occurrence l’Australie, avec la technologie nucléaire et l’armement qui va avec.  En effet, chacun comprendra que le sous-jacent naturel de la logique des sous-marins nucléaires est leur armement avec des missiles balistiques à tête nucléaire. En réalité, ce que traduit également cette affaire est le fait que les américains font peu de cas de la prolifération dès lors qu’elle intervient chez leurs alliés dans monde anglo-américain, en ce y compris l’Inde. On voit difficilement la position que pourra défendre Washington face à l’Iran lorsque les négociations sur le nucléaire iranien reprendront à Vienne !

Enfin, on peut comprendre qu’entre les sous-marins Diesel français et ceux nucléaires des américains, le choix est vite fait par Canberra même si dans les premières décennies ces sous-marins ne seront pilotés que par des marins américains. En effet, un soutien militaire américain, en cas de conflit avec la Chine, est plus crédible pour l’Australie qu’un soutien français avec seulement deux frégates dans tout le pacifique contre six porte-avions nucléaires américains et une quinzaine de sous-marins nucléaires, sans même parler des bases américaines en Corée du Sud, à Subic Bay aux Philippines et ailleurs. A cet égard, l’intimité culturelle entre Washington, Canberra et Londres, un élément certes non essentiel mais qui reste importante a joué un rôle non négligeable dans leur rapprochement. Le referendum sur l’indépendance de la Nouvelle Calédonie a accentué encore plus le ressenti des australiens concernant l’abandon de la présence française dans le pacifique et l’engagement de Paris dans cette partie du monde.

Toute chose égale par ailleurs, cette crise représente un « reset » de  priorités stratégiques de la France. En effet, même les membres de la « secte » des néo-conservateurs au quai d’Orsay, atlantistes convaincus de leur état, sont devenus les chantres du renouveau d’un gaullisme français. Ils appellent de leurs vœux un retour aux valeurs de l’indépendance nationale militaire et un retour à une autonomie de la production national de notre armement sur le sol français. La France, a une leçon à tirer de cette crise; celle fondée sur la phrase attribuée au Général de Gaulle : « la France n’a pas d’alliés mais des intérêts ». Le mépris témoigné par Washington à l’égard de la France, aussi bien sur cette affaire des sous-marins que sur celle de Kabul où les européens n’étaient ni informés ni sollicités dans le calendrier du départ américain, démontre la nécessité absolue d’une Europe de la défense.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 26/09/2021.