Nucléaire iranien : l’Iran à la recherche d’un consensus interne

C’est une semaine à haut risque qui s’achève pour les négociations sur le nucléaire iranien. Mercredi soir, les Etats-Unis ont transmis leur réponse sur le texte final à l’Iran, qui à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’étudierait toujours. Aucune des deux administrations n’a donné de détails sur le contenu de leurs remarques, bien que l’intense activité médiatique de ces derniers jours permette de croire à la possibilité d’une entente. La circonspection reste néanmoins de rigueur, puisque ces derniers échanges techniques interviennent alors que les Américains, en guise d’avertissement, ont frappé à deux reprises les forces pro-iraniennes dans le nord de la Syrie.

Il semble néanmoins qu’un accord renouvelé puisse véritablement émerger, si l’on en juge par les efforts diplomatiques déployés par Washington et Téhéran. Les deux parties ont en effet revu leurs exigences à la baisse, ce qui porte à croire qu’un accord, même imparfait, demeure néanmoins la meilleure issue du conflit larvé qui les oppose depuis mai 2018. En dépit d’une forte opposition politique et d’un risque relatif d’impopularité à quelques mois des élections de mid-term, la signature du traité serait malgré tout une victoire diplomatique considérable pour l’administration Biden.

A Téhéran en revanche, il est particulièrement intéressant de voir comment la fabrique du consensus s’est réactivée ces derniers jours. Même un régime aussi autoritaire que la République islamique doit déployer ressources, temps et patience pour convaincre du bien fondé de certaines décisions qui engagent l’avenir de l’Iran. Faire accepter un nouveau JCPoA n’a en effet rien d’évident pour une administration conservatrice qui avait relégué les négociations au second plan, et estimait que le pays saurait survivre sans accord nucléaire. La réalité économique et sociale en a décidé autrement, nécessitant de convaincre les officiels et in fine, l’opinion iranienne, d’accepter certains compromis en échange d’une bouffée d’oxygène financière.

Cette situation illustre un phénomène en réalité ancien qui souligne toute l’ambiguïté du processus politique et institutionnel iranien. En 1988, après huit ans de guerre meurtrière avec l’Irak, le régime dut alors naviguer entre la recherche urgente d’une sortie de crise et le maintien d’un discours martial, jusqu’à ce que l’Imam Khomeini se résolve à boire « la coupe de poison » et accepte le cessez-le-feu dans l’intérêt de l’Iran. Le mécanisme s’est également répété en 2003 et en 2015 sur la question nucléaire.

Aujourd’hui comme hier, c’est la construction d’un consensus interne qui occupe le régime. Dès le 15 août dernier, le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian, le négociateur en chef Ali Bagheri Kani, le secrétaire du Conseil suprême de la Sécurité nationale et le responsable iranien de l’Organisation de l’énergie atomique ont multiplié les rencontres avec les parlementaires iraniens et les médias d’influence pour défendre l’obtention d’un compromis, sous réserve de flexibilité américaine et en dépit des inévitables faiblesses du texte.

Le message du régime iranien tient en trois points. En premier lieu, rappeler que la balle est désormais dans le camp américain. Si la question des garanties exigées par l’Iran demande en effet des Etats-Unis un dernier effort de volonté politique, s’en remettre à leur décision est aussi une façon pour l’administration Raïssi de s’exonérer de toute responsabilité en cas d’échec. Le second point du discours officiel attrait précisément au professionnalisme et à l’efficacité de l’équipe des négociateurs iraniens, qui aurait fait tout son possible pour défendre les intérêts de l’Iran, contrastant ainsi avec les vives critiques essuyées en son temps par l’équipe du président réformateur Hassan Rouhani. Ceci ouvre également une autre piste de sortie, la possibilité d’une reprise des négociations avec la même équipe si d’aventure le texte final était à nouveau rejeté.

Dans l’hypothèse d’une issue négative du processus diplomatique, le régime a enfin tenu à relativiser l’importance du JCPoA pour l’Iran, qui dispose de plusieurs alternatives économiques grâce à ses bonnes relations avec la Chine et la Russie. La rhétorique officielle n’a pas manqué non plus de souligner l’importance de l’accord pour l’Occident, qui a surtout besoin d’un retour des hydrocarbures iraniennes sur le marché mondial de l’énergie.

Si ces derniers points sont exacts, les efforts de communication dissimulent mal l’urgence dans laquelle se trouve l’Iran. Cherchant à se protéger de toute polémique, le Guide Suprême Ali Khamenei a observé ces derniers jours un silence stratégique, laissant planer le doute sur ses futures orientations. Peut-être continuera-t-il à renoncer aux avantages d’un accord nucléaire à court terme. Cependant, on sait aussi qu’il a fait de la sortie de crise économique l’une de ses principales priorités. Préparer l’opinion aux différentes issues du processus diplomatique peut lui permettre de différer sa décision. C’est là un jeu dangereux, alors que la perspective d’un accord prochain a déjà rassuré les marchés et amélioré le taux de change du rial face au dollar. Depuis la reprise des négociations, jouer la montre a été au cœur de la stratégie du régime. Mais aujourd’hui, il ne peut plus se permettre d’en user, sans risques à long terme pour l’Iran.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 28/08/2022.