Poutine lâché par ses propres alliés de l’ex-URSS

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Où le président russe est-il désormais le bienvenu ? Depuis l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine est de plus en plus ostracisé, tant par les Occidentaux par le biais de sanctions économiques ou par le vote de résolutions stigmatisantes – ainsi la déclaration adoptée mercredi 23 novembre par le Parlement européen, faisant de la Russie “un État promoteur du terrorisme” – que par ses propres alliés. Réduisant à l’extrême ses déplacements à l’étranger, le président russe a ainsi renoncé à se rendre au dernier sommet du G20 à Bali, et a privilégié le dernier sommet de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Cette alliance militaire entre la Russie et cinq ex-républiques soviétiques, fondée sous son égide en 2002, rassemble autour de Moscou la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Arménie. C’est précisément à Erevan que se déroulait le sommet de l’OTSC, dont l’Arménie a pris cette année la présidence tournante.

L’Arménie, lâchée par la Russie

Or, cette rare visite à l’extérieur de la Russie a semblé acter, plus encore qu’aucun autre déplacement de Poutine depuis février dernier, son isolement sur la scène internationale, et jusque dans “l’étranger proche” russe.

“Engluée dans le conflit ukrainien qu’elle est en train de perdre, la Russie n’est plus apte à assurer sa mission d’alliée dans le Caucase, sa chasse gardée. Elle a ainsi refusé de répondre à ses obligations d’assistance en dépit de la demande expresse de l’Arménie”

Alors que l’Arménie subit les agressions de l’Azerbaïdjan depuis deux ans, et plus particulièrement depuis septembre, ni la Russie, théoriquement sa première alliée dans la région, ni l’OTSC en tant qu’organisation, ne lui ont apporté de soutien politique ou militaire. Face à cet abandon, Erevan n’a pas manqué de faire coïncider le contexte géopolitique avec ses obligations diplomatiques pour faire passer un message sévère à Moscou. Bien que de nombreux Russes soient réfugiés en Arménie, Poutine a ainsi dû subir l’affront de voir de nombreux manifestants critiquer sa présence dans le pays, et l’inutilité de l’OTSC pour garantir la sécurité régionale. Lors de la signature du cessez-le-feu de novembre 2020, la Russie s’était imposée comme la force de maintien de la paix au Haut-Karabakh. Dans ce cadre, elle se devait de protéger l’Arménie de la pression panturquiste de la Turquie et de l’Azerbaïdjan. Deux ans plus tard, engluée dans le conflit ukrainien qu’elle est en train de perdre, la Russie n’est plus apte à assurer sa mission d’alliée dans le Caucase, sa chasse gardée. Elle a ainsi refusé de répondre à ses obligations d’assistance en dépit de la demande expresse de l’Arménie, rompant ainsi avec l’article 4 du traité de l’OTSC.

L’OTSC, une coquille vide

Les autres membres de l’Organisation se montrent tout aussi unanimes dans la critique qu’ils font de l’invasion de l’Ukraine, et dubitatifs face aux capacités opérationnelles de la Russie. Aucun d’ailleurs, hormis la Biélorussie, ne reconnaît la validité des annexions russes dans le Donbass. Par la voix de son président Kassym-Jomart Tokaïev, le Kazakhstan a résumé le fond de la pensée des membres de l’OTSC : loin d’être une alliée fiable et rassurante, la Russie est devenue une puissance déstabilisatrice et néfaste pour l’équilibre régional et mondial. La défaillance de Moscou dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan fait écho à son absence totale d’intervention dans le conflit frontalier qui oppose le Tadjikistan et le Kirghizistan, et qui fait régulièrement des centaines de morts.

“La défaillance de Moscou dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan fait écho à son absence totale d’intervention dans le conflit frontalier qui oppose le Tadjikistan et le Kirghizistan, et qui fait régulièrement des centaines de morts”

Pour acter ces tensions, le document final du sommet n’a pas été adopté en raison du veto de l’Arménie, livrée à elle-même face à l’Azerbaïdjan. De même, le mois dernier, le Kirghizistan a annulé sa participation à des manœuvres militaires prévues dans le cadre de l’OTSC.

Ce sommet fut donc un échec, et tant de mécontentement pose inévitablement la question : à quoi sert encore l’OTSC ? Face à une Russie démissionnaire, ses membres semblent signifier que l’Organisation n’est plus qu’une coquille vide, sans réel pouvoir, efficacité ou crédibilité. D’aucuns interrogent désormais la pertinence même de son existence, d’autant que les alternatives existent déjà et séduisent fortement les Républiques d’Asie centrale.

La Chine et l’Occident pour remplacer la Russie

De par sa force de frappe économique et son intense lobbying diplomatique, la Chine s’impose désormais comme la première grande puissance locale à même de remplacer la Russie dans son rôle de garante de la paix en Asie. L’Organisation de coopération de Shanghai doit permettre à la fois l’essor économique et la sécurité régionale, et est promue comme telle par Pékin. Elle apparaît d’autant plus fiable que la Chine use de sa traditionnelle prudence stratégique pour se présenter comme une partenaire rassurante, à l’inverse de la Russie, dont elle n’a jamais ouvertement soutenu l’invasion ukrainienne.

“La Chine s’impose désormais comme la première grande puissance locale à même de remplacer la Russie dans son rôle de garante de la paix en Asie”

Nonobstant ses problèmes domestiques et l’enlisement de la question nucléaire, l’Iran conserve pour sa part une position géopolitique majeure dans la région, en tant que puissant voisin de ces ex-républiques soviétiques et allié historique de l’Arménie, qu’il soutient d’ailleurs activement face à l’Azerbaïdjan.

L’Occident peut également être considéré comme une alternative, notamment par l’Arménie, qui multiplie les contacts aux États-Unis et en Europe et a pu obtenir le déploiement par l’Union européenne d’une mission d’observation dans la zone de conflit avec Bakou. C’est d’ailleurs la première fois que la présence internationale dans la région n’est pas russe – exception faite de la Turquie en soutien de l’Azerbaïdjan dans le conflit avec l’Arménie – et ce simple fait est très révélateur. Le monde multipolaire souhaité par la Russie est peut-être en train d’advenir. Mais son aventurisme en Ukraine semble l’avoir privée d’en être une grande puissance. Le vide stratégique qu’elle laisse derrière elle est déjà naturellement prédaté par d’autres.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 29/11/2022.