Accord intérimaire sur le nucléaire iranien, une arme à double tranchant

La perspective d’un nouveau traité permettant d’encadrer le programme nucléaire iranien se précise, même si les officiels américains nient son imminence. Les Iraniens en revanche ont déjà publiquement annoncé qu’une entente informelle sur plusieurs points avait déjà été atteinte par les deux parties. Le fait que le guide suprême Ali Khamenei se soit exprimé en faveur d’un accord avec les États-Unis a rappelé une rhétorique similaire quelques semaines avant la signature de l’accord de Vienne en juillet 2015. Huit ans plus tard, est-on véritablement au bord d’une avancée diplomatique semblable ?

Libération de prisonniers contre dégel des avoirs

S’il voit le jour, l’accord intérimaire devrait avoir des contours plus limités, mais serait néanmoins porteur d’importantes évolutions pour l’Iran. L’administration Biden accepterait ainsi son actuel niveau de développement nucléaire, sous réserve que Téhéran s’engage à ne pas dépasser le seuil de 60 % d’uranium enrichi. Le régime iranien devra également libérer ses prisonniers binationaux et les renvoyer aux États-Unis. En échange, Washington ne formulera pas de nouvelles sanctions économiques contre l’Iran et autorisera des dérogations permettant de libérer près de 20 milliards de dollars d’actifs iraniens gelés auprès de banques étrangères, notamment en Corée du Sud. Preuve que cette dernière disposition devrait se concrétiser, l’administration Biden aurait délivré ce mois-ci une dérogation au gouvernement irakien, afin de lui permettre de régler une dette de près de 3 milliards de dollars à l’Iran pour des livraisons d’hydrocarbures.

De la prévention à l’endiguement

Alors que l’Iran a déjà accumulé suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer cinq bombes atomiques et pourrait, au rythme actuel, détenir l’équivalent de dix bombes d’ici la fin 2023 – un niveau “incompatible” avec un programme nucléaire civil selon l’AIEA – la stratégie de Washington semble avoir évolué. Certains, outre-Atlantique ou au Moyen-Orient, le déplorent. De fait, en acceptant que l’Iran conserve son uranium déjà enrichi, ainsi que ses infrastructures nucléaires, l’administration Biden a acté la réalité de la puissance nucléaire iranienne et le statut d’“État du seuil” acquis par Téhéran. Faisant preuve de réalisme, Washington est donc passé de la prévention à l’endiguement et à l’usage de la dissuasion. Ceci signe au passage la réussite de la stratégie iranienne baptisée “flexibilité héroïque”, d’ailleurs vantée par le guide suprême Ali Khamenei, pour imposer l’existence du programme nucléaire iranien aux Occidentaux.

Risque de déstabilisation de tout le Moyen-Orient

Dans une sorte de redite des critiques entendues en amont de la signature du Joint Comprehensive Plan of Action en juillet 2015, le possible accord intérimaire est loin de réjouir les alliés des États-Unis au Moyen-Orient, tout particulièrement l’État hébreu, qui s’inquiète du niveau d’expertise nucléaire atteint par l’Iran et de sa capacité à protéger ses infrastructures sensibles contre les attaques extérieures. Aujourd’hui, Tel-Aviv fait face à un dilemme cornélien : user de l’option militaire l’expose au risque d’une riposte d’envergure de la part de Téhéran. Et l’attentisme, à celui de ne plus pouvoir user de cette même option face à une puissance iranienne devenue trop difficile à vaincre.

“Riyad réclame l’aide des États-Unis pour développer un programme nucléaire civil, en échange d’une normalisation de ses relations avec Israël”

In fine, l’accord que les États-Unis cherchent à obtenir pour stabiliser le Moyen-Orient ne risque-t-il pas de manquer son objectif ? En effet, le fait de voir l’Iran être accepté comme puissance nucléaire va nécessairement augmenter le risque de prolifération dans la région. L’Arabie saoudite a toujours clairement signifié son intention de se doter d’un arsenal concurrent si d’aventure l’Iran devenait une puissance nucléaire – et c’est précisément ce qui est en train de se produire, puisque Riyad réclame désormais explicitement l’aide des États-Unis pour développer un programme nucléaire civil, en échange d’une normalisation de ses relations avec Israël. La Turquie et l’Égypte, autres grandes puissances du monde musulman, réclameront très certainement le même droit. Ceci pourrait entraîner d’importants rééquilibrages stratégiques au Moyen-Orient, mais aussi le rendre moins sûr et plus instable.

Comment limiter les risques de prolifération ?

Les analystes les plus alarmistes exhortent les États-Unis à mettre en place de multiples garde-fous face à une telle éventualité, et en premier lieu une limitation forte de l’accord intérimaire dans le temps – en clair, jusqu’à la fin du mandat de Joe Biden. C’est cependant un vœu pieux. Les garanties de pérennité de l’accord réclamées par l’Iran ont toujours constitué un engagement difficile à prendre pour les Américains, et l’une des raisons expliquant la stagnation des négociations redémarrées en avril 2021. Alors qu’aujourd’hui un accord, même peu contraignant, est envisageable, imposer une telle limite temporelle ferait courir le risque d’un refus de la part de l’Iran, et d’un nouvel échec diplomatique pour Joe Biden. Compte tenu de sa détermination nouvelle à faire aboutir ce dossier, cette option apparaît donc peu vraisemblable.

“Seuls le maintien d’une menace militaire et d’exercices dans la région pourraient paradoxalement garantir une dissuasion efficace.
Les États-Unis rassureraient leur allié israélien”

Seuls le maintien d’un niveau crédible de menace militaire et la conduite d’exercices dans la région pourraient paradoxalement garantir une dissuasion efficace. Nul doute que les États-Unis rassureraient ainsi leur allié israélien, en renforçant par ailleurs ses capacités d’action et en l’autorisant à agir si besoin comme proxy contre l’Iran. Dans le but d’éviter une guerre, tout ceci sonne étrangement belliciste… L’enfer étant pavé de bonnes intentions, tout dépendra du contenu exact de l’accord intérimaire, et des garanties qui seront mises en œuvre pour assurer un équilibre pérenne dans la région.

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans Le Nouvel Economiste du 29/06/2023.