Pour les Etats-Unis, le pari difficile d’un accord israélo-saoudien

« Faire de l’Arabie Saoudite une paria sur la scène internationale » est décidément devenu une promesse intenable pour Joe Biden. Comment faire l’impasse sur la première économie du monde arabe, maîtresse de la production pétrolière mondiale, et aujourd’hui capable de rétablir ses relations avec son pire ennemi, l’Iran ? Pivot incontournable dans l’évolution des équilibres stratégiques du Moyen-Orient, Riyad est un pouvoir clé pour l’avancée de deux dossiers diplomatiques majeurs aux yeux de l’administration Biden, bien qu’ils semblent contradictoires : la mise au point d’un accord intérimaire sur le nucléaire iranien, et l’établissement de relations officielles entre l’Arabie Saoudite et Israël.

La perspective de réaliser un tel accord apparaît néanmoins difficile, car elle nécessitera pour chacune des trois parties un renoncement de taille. Israël s’est en effet toujours opposé à ce que l’Arabie Saoudite puisse devenir une puissance nucléaire. Riyad a toujours fait de l’obtention d’un Etat palestinien un pré-requis incontournable à la reconnaissance de l’existence d’Israël. Enfin les Etats-Unis devront expliquer, en cas d’accord, pourquoi ils ont changé d’avis sur le « cas MBS ».

Pour les Etats-Unis en réalité, il s’agit là d’un nécessaire retour dans le jeu moyen-oriental, après deux ans de retrait stratégique qui ont laissé leurs alliés arabes dans un total désarroi et permis à la Chine de développer son influence. Bien que le projet des accords d’Abraham soit un héritage des années Trump, ajouter le royaume wahhabite à la liste des Etats arabes reconnaissant l’existence d’Israël est devenu la nouvelle priorité diplomatique du président démocrate. Ces dernières semaines, les visites officieuses de délégations américaines à Riyad et Tel-Aviv se sont multipliées. Pari risqué, mais potentiellement gagnant : se rapprocher de l’Arabie Saoudite peut être en effet mal compris par l’opinion publique américaine, de plus en plus méfiante envers cette alliée ambivalente depuis un certain 11 septembre 2001. Mais alors que Joe Biden a accumulé les échecs en début de mandat – stagnation des négociations sur le nucléaire iranien, retrait des troupes américaines d’Afghanistan et retour des talibans au pouvoir –  l’obtention d’un pacte global de stabilisation du Moyen-Orient, parachevé par une alliance officielle entre l’Etat hébreu et le leader autoproclamé du monde musulman sunnite, serait perçue comme une victoire diplomatique historique sur laquelle capitaliser en vue des élections présidentielles de novembre 2024.

Consciente d’être au coeur des multiples réalignements stratégiques actuellement en cours au Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite a semblé donner des signes d’ouverture lors de la visite d’Antony Blinken à Riyad début juin. Le chef de la diplomatie saoudienne a en effet vanté les mérites sécuritaires et économiques d’une normalisation avec Israël, tout en appelant « à trouver un chemin vers une solution à deux Etats », ce qui semble bien frileux par rapport aux positions antérieures du royaume wahhabite sur la résolution de la question israélo-palestinienne.  Alors que les propositions du « plan Abdallah » adopté en 2002 par la Ligue arabe – et notamment la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 – étaient demeurées durant vingt ans une condition préalable non négociable pour reconnaître Israël, cette nouvelle rhétorique valide une réalité déjà manifeste depuis plusieurs années : le sort des Palestiniens n’est plus un combat du monde arabe.

Pour Mohammed Ben Salmane, le coût politique d’une normalisation avec Israël est à prendre en considération, tant l’État hébreu demeure impopulaire auprès de l’opinion publique saoudienne. En acceptant de renoncer à ce marqueur diplomatique et identitaire qu’est la cause palestinienne, l’Arabie Saoudite doit donc impérativement obtenir des gages de la part des Etats-Unis : renforcer en priorité son pacte sécuritaire, obtenir une levée des restrictions sur l’achat de certains armements américains, ainsi que le droit de développer un programme nucléaire civil, demande que les Américains ont toujours refusée. Soucieux de limiter l’influence nouvelle de la Chine dans la région et de conserver l’Arabie Saoudite dans l’orbite américain, les Etats-Unis feront-ils évoluer leur position sur ce point particulièrement délicat ? Bien que Riyad réclame également des garanties sur l’encadrement du nucléaire iranien, le risque est évidemment de voir se développer un arsenal nucléaire saoudien si l’Iran poursuit son propre programme au rythme actuel.

Tout comme les Etats-Unis, Israël s’est de longue date toujours opposé à la création d’un programme nucléaire saoudien. Revenir sur cette position risque donc de fragiliser Benjamin Netanyahu, déjà en situation d’extrême faiblesse politique. En dépit de son souhait plusieurs fois exprimé de sceller un accord avec Riyad, la situation politique d’Israël et le positionnement difficile de son gouvernement demeurent des obstacles de taille pour la réussite des efforts diplomatiques. Comment concilier de manière cohérente la normalisation avec la puissante leader du monde arabe et l’idéologie d’un gouvernement d’extrême-droite, qui ne cesse d’attiser les violences envers les Arabes israéliens et les Palestiniens ?

Pour Washington, la « fenêtre » diplomatique est donc extrêmement courte, alors que dès la fin de l’année, la course à l’élection présidentielle va s’intensifier et que le Congrès est extrêmement divisé, jusqu’au sein du parti de Joe Biden, sur les évolutions possibles de l’alliance saoudienne. Nombreux sont néanmoins les analystes outre-Atlantique à penser qu’un président démocrate aura davantage de chances de réussite dans ces négociations. L’administration Biden comme l’Arabie Saoudite demeurent néanmoins conscients que sans la moindre garantie à l’égard des Palestiniens, tout accord avec Israël sera de courte durée. Leur obtention demeure pour l’heure largement hypothétique…

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 25/06/2023.25