Une riposte iranienne millimétrée et lourde de sens

Ils avaient promis la vengeance après l’assassinat du général « martyr ». En frappant cinq jours plus tard deux bases américaines en Irak, les dirigeants de la République islamique ont démontré la maîtrise militaire et régionale de l’Iran ainsi que l’isolement des Américains au Moyen-Orient. Mais si la confrontation directe et immédiate a été évitée, cette riposte sonne également comme un avertissement. 

Pour l’Iran, l’enjeu était cornélien et urgent. Comment satisfaire une population éplorée réclamant vengeance et laver l’affront de l’assassinat de Soleimani, sans pour autant déclencher un véritable conflit ouvert avec les Etats-Unis ? Téhéran ne pouvait pas non plus écarter la menace de Donald Trump visant 52 sites culturels iraniens, même si cette éventualité, qui aurait constitué un crime de guerre, a évidemment été invalidée par l’administration Trump. 

Mercredi 8 janvier, le jour même des funérailles de Ghassem Soleimani dans sa ville natale de Kerman, l’Iran a lancé plus d’une douzaine de missiles balistiques sur la base d’Aïn al-Assad, située au nord de Bagdad, et à Erbil, dans le Kurdistan irakien. Les deux bases accueillaient les forces américaines en Irak dans le cadre de la lutte contre l’Etat islamique, mais les frappes n’ont fait aucune victime. Tandis qu’en Iran, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a déclaré que les frappes « concluaient la réponse iranienne », Donald Trump s’est dit satisfait de voir « l’Iran capituler ». 

L’analyse de cet épilogue est riche en enseignements. Loin d’être symboliques, les représailles iraniennes ont été parfaitement calibrées pour répondre à l’assassinat de Ghassem Soleimani, sans pour autant franchir la ligne rouge en entraînant la mort de ressortissants américains. En l’espèce, les analystes soulignent que les soldats américains avaient été alertés suffisamment à l’avance pour quitter les bases, aussi les échanges d’information entre l’Irak et l’Iran portent-ils à croire que l’Iran a délibérément épargné la vie des militaires. 

Par leur précision et leur portée, les frappes iraniennes ont étonné jusqu’aux militaires américains, qui leur ont rappelé le précédent contre les sites pétroliers saoudiens le 14 septembre dernier. Certes, Téhéran a toujours nié sa responsabilité dans l’affaire… Néanmoins, de l’avis de tous les experts, aucun pays de la région, y compris Israël, n’aurait été en mesure de se protéger contre de telles attaques. Force est de constater que les forces militaires iraniennes disposent d’un arsenal non conventionnel (missiles balistiques et drones) extrêmement sophistiqué, sans oublier une réelle maîtrise des cyberattaques et près de 250 000 miliciens chiites répartis dans tout le Moyen-Orient. En outre, la mort de Soleimani a permis à l’Iran de fédérer un arc chiite et plus globalement régional contre l’ingérence américaine au Moyen-Orient, dont la fin est devenue plus que jamais l’objectif de « l’axe de la résistance ». Face à un adversaire qui possède la maîtrise du terrain et des techniques de guerre aussi précises qu’imprévisibles, les Etats-Unis sont plus isolés que jamais, réduits à accepter le bombardement de leurs bases irakiennes pour peu qu’il n’y ait pas de pertes humaines. 

Cette démonstration a permis de faire un état des lieux des rapports de force au Moyen-Orient, et ceux-ci ne sont clairement plus en faveur des Américains, dépourvus d’alliés dans la région, malgré leur supériorité militaire. L’Irak a désormais choisi le camp iranien, peut-être même au-delà des milices chiites pro-iraniennes, tandis que tous les tenants de « l’arc chiite », jusqu’au Hezbollah libanais, promettent leur propre vengeance contre les Etats-Unis. Tout porte à croire que les réponses iraniennes n’en resteront pas là, mais celles-ci useront davantage de moyens détournées pour s’exprimer. Le nouveau chef de la force Al-Qods, Esmaïl Qaani, ancien second de Soleimani, l’a rappelé : l’objectif reste, à long terme, de chasser toutes les forces américaines de la région. En déclarant Soleimani « plus dangereux mort que vivant », la République islamique dépasse l’éloge funèbre et dévoile, presque clairement, ses intentions à moyen terme. Les jours de l’interventionnisme américain semblent désormais petitement comptés.

Certes, la « guerre des douze jours » semble avoir été remportée par les Iraniens, qui ont donné la preuve d’une capacité de réponse non négligeable. Pour autant, la République islamique demeure particulièrement fragile sur le plan intérieur, comme en témoignent les nouvelles manifestations contre le régime après le crash accidentel d’un avion ukrainien le 8 janvier dernier, sur ordre des Pasdarans. Ce drame n’a fait que réveiller les profondes divisions du peuple iranien, que l’union sacrée autour de la mort d’un général emblématique n’avait que temporairement endormies. Plus que jamais, le régime se trouve confronté aux conséquences d’une politique étrangère certes ambitieuse mais aussi très hasardeuse.

mais particulièrement hasardeuse..

Par Ardavan Amir-Aslani.

Paru dans Le Nouvel Economiste du 14/01/2020.

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